Un artiste, une anecdote sur Richard Serra un maître de la sculpture monumentale et de l’interaction spatiale.
Richard Serra voit le jour à San Francisco, États-Unis le 2 novembre 1939. Fils d’un père espagnol et d’une mère ukrainienne originaire d’Odessa, l’expérience d’accompagner son père au chantier naval marque son enfance. Âgé de quatre ans, il observe avec fascination un imposant navire, qu’il décrit comme un « gratte-ciel allongé », lors de sa mise à l’eau. Il est stupéfait par le contraste entre la masse du navire avant son lancement et sa transformation en une structure flottante et libre une fois sur l’eau.
Il poursuit ses études en beaux-arts à l’Université de Yale de 1961 à 1964. Pour financer sa formation, il travaille dans une aciérie. Il obtiendra un Bachelor puis un Master of Arts. Les premières créations de Richard Serra consistent en des projections de plomb fondu sur des murs. Elles montrent une influence marquée de l’expressionnisme abstrait. Cependant, il s’oriente rapidement vers le minimalisme et des projets plus ambitieux.
En 1965, Richard Serra épouse Nancy Graves, une artiste peintre et sculptrice, mais le couple divorce en 1970. Grâce à une bourse, Serra a l’occasion de voyager à travers l’Europe. Lors d’un séjour à Paris, il fréquente l’Académie de la Grande Chaumière, où il découvre l’œuvre de Brancusi. Cela aura une influence cruciale orientant sa carrière artistique vers le thème de la gravité. L’artiste déclare que c’est à ce moment-là qu’il a opéré sa transition vers la sculpture.
À la fin de l’année 1966 à New York, Richard Serra expérimente avec divers matériaux tels que le latex, le caoutchouc, le feutre, la fibre de verre, le cuivre, et le bois. Il crée à plusieurs reprises une œuvre éphémère intitulée « Scatter Pieces ». Il lance donc différents matériaux dans une pièce pour qu’ils se disposent naturellement dans l’espace. Serra présente sa première exposition personnelle à Rome, avec des œuvres sculpturales composées de cages en bois et d’animaux empaillés. Cette année-là, il s’installe également à New York, où il s’immerge dans le milieu du minimalisme.
En 1969, Richard Serra attire l’attention à New York avec « One Ton Prop (House of Cards) ». Dans cette œuvre quatre plaques de plomb se soutiennent seules en équilibre, sans socle ni fixations. Cette exploration de la gravité illustre alors son idée que l’équilibre peut rendre les forces invisibles.
Après une visite au Japon Richard découvre les jardins zen de Tokyo. À son retour en Californie l’artiste réalise ses premières grandes sculptures extérieures en acier Corten. Il leur applique une solution corrosive afin d’obtenir une couleur vive et flamboyante. Son travail explore la réorganisation et la transformation de l’espace, l’équilibre et la perspective. L’artiste prête ainsi attention aux interactions entre l’œuvre, son environnement et le spectateur.
Entre 1972 et 1975, avec « Sight Point (For Leo Castelli) », l’artiste Richard Serra crée sa première œuvre verticale d’envergure. Trois plaques d’acier de 12,20 mètres de hauteur et 3,10 mètres de largeur constituent cette sculpture. En 1981, il réalise « Tilted Arc », une œuvre monumentale installée sur Federal Plaza à New York.Cette sculpture en acier corten trace un arc de cercle incliné de 37 mètres de long, 3,7 mètres de haut, et 6,4 cm d’épaisseur. Elle suscite rapidement la controverse en raison des perturbations qu’elle cause dans les déplacements quotidiens et l’esthétique de la place. L’œuvre alimente également un débat sur l’utilisation des fonds publics. Pour Serra déplacer la sculpture équivalait à la détruire.
En 1989, « Tilted Arc » est démontée, coupée en trois morceaux et entreposée. Sa destruction initie un débat juridique sur l’importance de l’emplacement pour une œuvre d’art spécifique au site. Un amendement voté en 1990 protége les « droits moraux » des artistes aux États-Unis. Malgré tout des modifications en 2006 indiquent que le site n’est pas crucial pour l’intégrité d’une œuvre.
L’artiste épouse en 1981 Clara Weyergraf, conservatrice et historienne de l’art. Il crée en 1983 « Clara-Clara », une sculpture en acier corten dédiée à son épouse. Les jardins des Tuileries, à Paris accueillent l’œuvre composée de deux grandes courbes mesurant 35 mètres de long et 3 mètres de haut. Conçue pour ce lieu spécifique, elle sert de porte d’entrée vers les jardins ou de sortie vers la place de la Concorde.
Après sa création, elle est déplacée au Parc de Choisy de 1985 à 1990, puis stockée temporairement avant de revenir temporairement aux Tuileries en 2008. Finalement « Clara-Clara » est de nouveau mise en entrepôt. La complexité avec les grandes œuvres de Serra réside dans leur intégration spécifique et imposante, rendant difficile leur adaptation à d’autres emplacements.
En 1987 Richard Serra crée « Equal Parallel/Guernica-Bengasi », une sculpture monumentale pour le musée Reina Sofía de Madrid. Quatre blocs d’acier pesant 38 tonnes, relient symboliquement le bombardement de Guernica et l’attaque de Benghazi. le Musée a acquit l’œuvre pour plus de 215 000 euros. Une fois l’exposition terminée, l’œuvre est entreposée dans un hangar à Arganda del Rey par une société spécialisée dans la gestion d’œuvres d’art.
En 2005, lors d’un inventaire en vue de l’inauguration de l’extension du musée réalisée par Jean Nouvel, la sculpture a disparu. Elle aurait probablement été fondue à la suite de la faillite de l’entreprise. Malgré la stupéfaction et les critiques sur la gestion des œuvres par le musée, Serra accepte de réaliser une « copie » dorénavant exposée.
En 1991, « Octagon for Saint Eloi » est installée à Chagny, en France. Cette œuvre, un octogone en acier corten de 2 mètres de haut et 2,40 mètres de diamètre, pèse 57 tonnes. Elle rend ainsi hommage à Éloi de Noyon, patron des forgerons. Surnommée « le boulon », elle a alors essuyé des critiques pour son coût et son symbolisme jugé inapproprié. Certains y voient une provocation envers l’industrie sidérurgique en déclin. Bien que les critiques se calment parfois, elles reviennent périodiquement. Malgré une convention protégeant son emplacement, son avenir reste incertain.
En 1997, Richard Serra crée « Snake », sculpture réalisée pour l’inauguration du Musée Guggenheim de Bilbao. Trois lames d’acier incurvées proposent alors au spectateur un cheminement sinueux. L’œuvre monumentale mesure près de 32 mètres de long pour presque 8 mètres de haut. En 1999, Richard Serra présente ses torsions elliptiques au Guggenheim de Bilbao après les avoir exposées à New York et à Los Angeles. Pour le musée basque, il crée en 2003 « The Matter of Time ». Cet ensemble de sept structures totalise ainsi 1200 tonnes d’acier et s’étend sur 131 mètres de long et 4 mètres de haut rejoignant la sculpture « Snake ».
En 2016 l’artiste Richard Serra propose trois installations. Avec « Trough » le passage est unique et linéaire, tandis que « Every Witch Way » propose un véritable florilège de trajectoires et de mouvements. Serra joue avec l’idée de désorientation et de réorientation, obligeant le public à s’adapter constamment aux changements de perspective. « Silence » rend hommage au compositeur John Cage ayant « écrit » une pièce de 4 minutes 33 secondes de silence. Serra intègre le concept de silence dans sa sculpture en créant un espace où l’absence de son devient palpable, intensifiant la conscience du matériau et de l’espace. Le spectateur ne peut qu’en faire le tour et contempler un vide. Aucune trajectoire n’est proposée sinon toutes celles déjà empruntées. Ces œuvres invitent à la méditation et à l’exploration introspective, vide et plein sont des éléments indissociables.
Richard Serra réalise « Est-Ouest/Ouest-Est » en 2021 au Qatar. L’œuvre, composée de quatre plaques d’acier de 15 mètres de haut, est commandée par l’Autorité des musées du Qatar. Elle symbolise une connexion entre les mers de l’Est et l’Ouest du désert.
Le 26 mars 2024 Richard Serra décède à l’âge de 85 ans des suites d’une pneumonie. Tout au long de sa carrière, l’artiste a exploré les potentialités du métal, créant des œuvres monumentales qui questionnent l’interaction entre l’espace, le poids et le mouvement des spectateurs. Les œuvres de Richard Serra, enroulées en spirales ou déployées en ellipses, offrent ainsi une expérience immersive. Auparavant ses sculptures massives défiaient le passant par leur impact physique et leur apparente instabilité. Dans un musée, elles cherchent donc à offrir une expérience unique au spectateur, invitant à un « parcours physique et sensoriel ». Richard Serra réinvente ainsi l’interaction de l’artiste et de l’œuvre avec le public, transformant la visite en un voyage introspectif.
« Je pense que la signification de l’œuvre réside dans l’effort pour la faire, non dans les intentions que l’on a. Cet effort est un état d’esprit, une activité, une interaction avec le monde. » Richard Serra
Au revoir et à bientôt pour une nouvelle anecdote !