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Comment la couleur en sculpture brise les préjugés

Pourquoi utiliser de la couleur dans les œuvres comme la sculpture. Il y a plusieurs réponses, la couleur permet d’ajouter des intensités et des variations de lumière qui attirent l’attention sur des détails spécifiques. La couleur permet également à la sculpture de s’harmoniser avec son environnement ou, au contraire, de se démarquer. La couleur c’est aussi la capacité de symboliser des concepts abstraits ou des idées particulières, régler des comptes personnels ou rétablir des injustices. C’est aussi battre en brèche des préjugés ethniques e tenter de célébrer la diversité. La couleur c’est tout cela à la fois. C’est donc un moyen supplémentaire pour s’exprimer par la créativité.


La polychromie dans l’art : de l’Antiquité au Moyen-âge


Le terme « polychrome » s’applique à l’utilisation de différentes couleurs appliquées sur des objets tels que les statues, les toitures, les céramiques, les tuyaux d’orgue et même le marbre. L’étude des œuvres d’art antique révèle que peindre tout ou partie des monuments d’architecture et de sculpture, avec une ou plusieurs couleurs, fut une pratique courante. Mais cela exigeait un investissement financier considérable, certaines couleurs étaient rares et leur utilisation coûteuse.

Les architectes égyptiens utilisaient des couleurs afin d’embellir leurs monuments ainsi que pour peindre les statues et les bas-reliefs. Les Perses, Assyriens, Babyloniens, Éthiopiens, Phéniciens utilisaient également la polychromie sur leurs édifices et sculptures.

Les artistes de l’Antiquité et du Moyen Âge en Europe utilisaient la polychromie pour célébrer le divin, la vie ou la mémoire de grands hommes. Dans la Grèce antique, les statues étaient polychromes. La peinture est largement utilisée pour orner les monuments mais également pour préserver les bâtiments construits en bois. Les Romains font usage de la polychromie de manière moins étendue, en l’appliquant à l’intérieur des édifices. C’est avec le développement de la technique du stuc, que la couleur est appliquée également à l’extérieur. Au Moyen Âge, la polychromie est présente dans les créations des artistes chrétiens, notamment la période romane et les premiers siècles du style gothique. Cependant, sa disparition à conduit à l’oubli de son rôle majeur dans l’esthétique des édifices religieux de cette époque.

Des sculptures médiévales en couleur
Des sculptures médiévales en couleur

L’intérieur des églises médiévales étaient souvent entièrement peints. La peinture était appliquée directement sur la pierre ou sur un enduit couvrant les murs. Les artistes byzantins arrivés en France au 9ème siècle, ont perfectionné ce style de décoration. Le jaune ocre, le brun rouge clair, le vert, le rose pourpre, le violet pourpre clair, le bleu clair et l’or sont alors les couleurs principales des palettes des artistes. Cette polychromie touchait également les vitraux médiévaux et les statues en bois peint.

La Renaissance : la recherche de l’idéal de la pureté

À partir du 16ème siècle, on abandonne la peinture extérieure des bâtiments. Des matériaux émaillés sont préférés aux peintures extérieures comme l’illustrait le Château de Madrid au Bois de Boulogne, ou l’ancienne Grotte du jardin des Tuileries à Paris. Au 17ème siècle on recherche des rendus colorés en mélangeant des briques et des pierres, parfois des faïences. Des études de la réalisation de l’Opéra Garnier au 19ème siècle et les nombreuses œuvres conservées au Musée d’Orsay montreront la continuité de cet art.

La sculpture polychrome utilise plusieurs matériaux

À la Renaissance la polychromie persiste, notamment à travers des œuvres céramiques émaillées réalisées par des artistes toscans dont Luca et Andrea della Robbia, ainsi que Santi Buglioni. L’apogée du baroque et du rococo perpétue également l’utilisation de la polychromie en sculpture comme le montre le buste peint de Niccolo da Uzzano réalisé en 1432 par le sculpteur Donatello.

Les sculptures adoptent une nouvelle esthétique en devenant blanches. Les raisons seraient multiples : le temps qui efface les peintures sur des œuvres enterrées, des collectionneurs se mettant d’accord sur le blanc, puis plus tard une idéologie nauséabonde concordant avec le développement de l’esclavage. Les artistes ont alors cherché à reproduire la période de l’Antiquité gréco-romaine en utilisant principalement du marbre blanc, mettant ainsi de côté la couleur dans une vision « idéalisée » de la sculpture. Le Bernin est célèbre pour son œuvre touchante et effroyablement réaliste, « L’enlèvement de Proserpine ». Le travail du marbre blanc s’impose par l’ordre académique comme un symbole de moralité de la Renaissance italienne par opposition à l’art coloré du Moyen-âge vu comme non intellectuel.

Le Bernin, Sculpture de l'enlèvement de Properine
Le Bernin, Sculpture de l’enlèvement de Properine

Au 18ème siècle la tendance à la blancheur immaculée du marbre reste prédominante. Pourtant de nouvelles découvertes archéologiques ont révélé la polychromie des sculptures antiques à Pompéi et Herculanum. Johann Joachim Winckelmann, historien de l’art allemand, a purement et simplement ignoré et rejeté ces découvertes en véhiculant l’idée que « plus le corps est blanc, plus il est beau ». Au 19ème siècle, de nouvelles expérimentations polychromes sont apparues dans le domaine de la sculpture.

Charles Cordier : L’art polychrome comme défi politique et artistique au 19ème siècle

Au 19ème siècle, Charles Cordier représente des ethnies lointaines dans son art coloré. Un choix artistique que l’on peut considérer comme politique en pleine période de l’abolition de l’esclavage en France. C’est un pionnier utilisant les couleurs naturelles des marbres.

À partir de 1839, un projet de galerie anthropologique est lancé. En 1853, la collection est bien fournie, incluant des têtes osseuses ethniques, des spécimens de peau, des productions cutanées animales, des « nains », des « géants » et la « Vénus hottentote », Saartjie Baartman de son vrai nom, femme réduite en esclavage et exhibée pour son physique.

En 1851, l’État français commande à Charles cordier des bustes pour la galerie d’anthropologie du Muséum afin de soutenir les nouvelles théories scientifiques sur les races humaines. Il crée des sculptures représentant les différents types humains avec réalisme, contrairement aux moulages anthropologiques. Ces commandes suscitent des questions sur le statut de ces sculptures au sein d’une galerie comprenant des objets ethnographiques et des moulages anthropologiques. L’artiste français souhaite remettre en question les idées racistes dominantes de l’époque proclamant la supériorité européenne, et défend la beauté spécifique à chaque civilisation.

Utiliser des couleurs naturelles

Cordier, ose redonner ses lettres de noblesse au polychrome. Il exploite les variations naturelles de couleur du marbre-onyx, allant du blanc au rouge en passant par une gamme variée de bruns. Grâce aux avancées de l’industrie, il étudie également les différentes possibilités de patine du bronze et de l’argenture oxydée afin de représenter la peau foncée des Africains. Enfin, en étudiant les techniques de la joaillerie, il enrichit les costumes.

Lors de son voyage en Algérie en 1856, Cordier a utilisé les couleurs naturelles du marbre et du bronze des portraits romains antiques pour représenter des femmes et des hommes rencontrés lors de son séjour. En 1856 il créé « L’Homme du Soudan » en utilisant une combinaison de matériaux polychromiques. Le visage est en bronze, tandis que le manteau et le turban sont en marbre-onyx d’Algérie. Ce matériau, était utilisé dans l’Antiquité, Le marbre-onyx se distingue par ses couleurs allant du rouge au blanc et par ses veinures. Cordier l’utilise pour reproduire les motifs des étoffes orientales. C’est novateur pour une époque, où l’on a l’habitude de voir des sculptures en marbre blanc ou en bronze, comme c’est le cas dans la nef du musée d’Orsay. En 1861, il crée « Femme des colonies », une sculpture faite de marbres et d’onyx.

Cordier a exploré l’utilisation de la polychromie dans ses sculptures. Son objectif était d’obtenir des effets de couleur en utilisant divers matériaux tels que le bronze émaillé, l’argent et l’or. De plus, il a teinté les marbres de Carrare et ajouté des pierres semi-précieuses. Sa maîtrise de la polychromie lui a permis de valoriser les différents traits et caractéristiques des cultures orientales qu’il représentait.

Il a cherché à comprendre les variations individuelles et à créer un idéal qui regroupe toutes les beautés pour chaque ethnie étudiée. Ses sculptures polychromes, on suscité l’admiration pour leur maîtrise technique. Et ce, malgré il faut le dire, la « rareté » de la population noire en France à cette époque.

« Fixer les différents types humains qui sont au moment de se fondre dans un seul et même peuple »

Charles Cordier


La polychromie dans la sculpture du 20ème siècle

Des expérimentations fauvistes à l’approche de Bourdelle

L’acceptation de la polychromie dans la sculpture donna lieu à des expérimentations artistiques et à des débats sur la conception de la couleur dans la technique de la sculpture. Le courant du fauvisme entre 1905 et 1910 dans la peinture a contribué à faire bouger les choses. Bourdelle a été acteur de ces changements. Entre 1896 et 1920 ce dernier s’intéresse aux arts du feu en modelant des sculptures qui furent d’abord éditées en biscuit et en grès.

« Dans votre image la couleur est infuse dans la masse même. Toute la forme en reste pure car la couleur est au dedans. »

Bourdelle

Mais déjà le sculpteur et peintre Gérôme utilise la couleur comme une technique distinctive dans la sculpture. Pour atteindre cet effet, il varie les matériaux, comme dans sa sculpture « Bellone » de 1892. Il peint directement la pierre avec de la cire colorée, comme dans « Sarah Bernhardt » en 1895. L’artiste réalise une série de sculptures de conquérants. Il utilise de l’or, de l’argent et des pierres précieuses, telles que « Bonaparte entrant au Caire » en 1897, « Tamerlan » en 1898. Gérôme connaît un grand succès de son vivant, mais son hostilité envers les impressionnistes contribue à son déclin de popularité.

L’art contemporain, une explosion de couleurs

Nikki De Saint Phalle, la vie est dans la couleur

Nikki De Saint Phalle utilise la couleur des peintures aérosols de façon particulière avec ses « Tirs ». Elle obtient en effet des effets remarquables une fois la bombe la cible d’une carabine. Ces effets rappelaient fortement les œuvres d’art abstraites et expressionnistes populaires à cette époque comme Pollock. La couleur se répandant sur les objets donnait un résultat dramatique. Elle commence avec des chemises claires étendues sur des toiles et propose aux visiteurs de tirer dessus. Ainsi se crée puis se répand une explosion de peinture colorée. Pour ajouter une touche spectaculaire à ses performances de tir, elle intègre l’utilisation de gaz lacrymogène lors des grandes finales pour accentuer le côté guerrier de son approche artistique. Faire du beau avec un symbole qui était laid pour elle, abusée par son père. Ces chemises c’est l’homme, c’est lui.

« J’ai décidé de renoncer aux tirs après seulement deux ans. Je me sentais droguée et dépendante de ce rituel macabre, même s’il était joyeux. J’ai perdu le contrôle de moi-même pendant les séances, ce qui m’effrayait. Bien que tentée de revenir aux tirs en période de maladie, je n’ai pas trouvé de nouvelle idée pour innover et j’ai décidé d’abandonner. »

Nikki De Saint Phalle

Son travail était une expérience sensationnelle. Prendre pour cible une peinture et la voir se métamorphoser en une toute nouvelle création. Ce n’était pas seulement captivant et envoûtant, mais également empreint de tragédie. Comme si l’on assistait simultanément à une naissance et à une mort. C’était un événement mystérieux dit-elle.

Les sculptures hautes en couleurs de Nikki de Saint Phalle
Les sculptures hautes en couleurs de Nikki de Saint Phalle

Par ailleurs, ses nanas colorées représentent l’émancipation, la joie et aussi une forme de revanche. Elles donnent un coup de pied au blanc immaculé de la robe de mariage pour une mère qui ne l’a pas protégé.

Koons : des couleurs kitsch trompeuses

Depuis les années 1980, Koons l’artiste aux mille couleurs occupe une place centrale dans l’art contemporain. Ses sculptures scintillantes et colorées fascinent et émerveillent. Son œuvre se situe dans une période marquée par une division entre l’art « haut » et l’art « bas ». Cependant, il se soucie peu des contraintes historiques et revendique le caractère intemporel de son art.

Jeff Koons, des sculptures aux couleurs scintillantes
Jeff Koons, des sculptures aux couleurs scintillantes

Les créations de Koons parlent au grand public en utilisant des références familières. Elles défient les normes de l’establishment artistique. Avec ses œuvres qui évoquent le ready-made, il pousse les limites de l’art contemporain et suscite des débats passionnés. Ses œuvres, vendues dans le monde entier, ne sont pas accessibles à toutes les bourses. Derrière leur apparence, de surface, sans valeur elles sont en réalité solides et durables. Avec son « Ballon Dog » l’artiste transforme ainsi un objet éphémère créé pour divertir les enfants, en une sculpture toute de couleur. Derrière la similitude avec un simple jouet de plage, ces oeuvres portent en réalité une signification plus profonde. Elles appellent l’enfant qui est en nous.

Les couleurs, toute une histoire

Les couleurs ont de fortes représentations dans nos civilisations. Elle ne sont pas anodines et transportent des tabous, des préjugés auxquels nous obéissons sans le savoir. Elles sont aussi la diversité. Leurs sens cachés ont une action sur notre environnement, notre comportement, notre langage et notre imagination. L’histoire des couleurs ressemble à une saga mouvementée témoignant de l’évolution des mentalités. L’art, la peinture, la décoration et l’architecture, parmi d’autres formes d’expression, sont tous soumis à ce code tacite.

Je vous recommande « Le Petit livre des couleurs » de Dominique Simonnet et Michel Pastoureau. En apprenant à penser en couleurs, vous verrez la réalité d’une manière différente.

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