Depuis les civilisations antiques jusqu’à nos jours, l’art a toujours joué un rôle central dans la représentation du corps humain et l’exploration de la sexualité. Les sculptures phalliques de l’Antiquité et les mythes érotiques s’entrelacent pour former une histoire complexe du désir et de l’expression artistique. Des divinités sculptées aux œuvres controversées de la Renaissance, chaque époque a marqué l’art de son empreinte unique. Cela a transformé les perceptions du corps féminin et masculin.
À travers les siècles, les artistes ont repoussé les limites de la décence et de l’acceptable, alors que des figures comme Jean-Baptiste Carpeaux et Gustave Courbet défiaient les normes en vigueur avec audace. Cet article explore comment l’art reflète et influence notre compréhension de la sexualité, du désir et de l’identité de genre.
Des divinités sculptées aux désirs érotiques
Dans l’Antiquité gréco-romaine, les sculptures phalliques représentaient la fertilité et la protection. Présentes dans des rituels comme les Phallophories grecques, elles ornaient également les foyers en tant que talismans contre le mal. En lien avec des divinités telles que Dionysos et Hermès, ce dernier se voyait représenté en buste et orné d’un phallus que les habitants touchaient afin d’éloigner le mauvais sort. Certains menhirs médiévaux, impliqués dans des rites de fertilité, témoignent de la continuité de ces symboles à travers le temps.
Une récente découverte au Royaume-Uni, près du mur d’Hadrien, révèle un graffiti phallique antique. Celui-ci porte l’inscription moqueuse « SECVNDINVS CACOR » à propos d’un dénommé Secundinus. Les gravures de pénis, courantes à cette époque, servaient à la fois pour la moquerie et comme symboles de protection.
Le Kama-Sutra : la sculpture sacrée et l’érotisme cosmique
En 1838 l’ingénieur britannique T. S. Burt met au jour les sculptures érotiques des temples de Khajuraho en Inde. Ces œuvres ont suscité des réactions de choc et d’incompréhension, en raison de leur représentation explicite de l’amour et des plaisirs charnels. Érigés par la dynastie des Chandela entre le 10ème et le 12ème siècle, les temples comportent des bas-reliefs foisonnants. Les thèmes principaux s’inspirent du Kama-Sutra, illustrant une vision de la sexualité comme un élément sacré de la cosmologie, visant à féconder l’univers. Ces représentations audacieuses témoignent d’une approche holistique de l’amour, considérant l’acte sexuel non pas seulement comme un plaisir, mais comme une expérience spirituelle et artistique.
De l’innocence à l’érotisme
La nudité dans l’art est un sujet fondamental qui suscite des questions complexes de sexualité et d’expression artistique. Historiquement, la représentation des corps nus a souvent été tempérée par des normes de chasteté, particulièrement marquées durant l’époque médiévale. Cependant, réduire la nudité à des thèmes de souffrance ou de péché ne capture pas toute sa diversité. Elle a aussi été le vecteur de narrations sur le sacrifice, la résilience et l’érotisme. Des figures bibliques comme Adam et Ève, souvent représentées avec des feuilles de figuier, sont symboles d’une sensualité perdue mais empreinte d’innocence originelle.
La Renaissance et le nu symbolique
Avec l’avènement de la Renaissance, la perception de la nudité évolue, portée par des artistes comme Michel-Ange. Dans ses œuvres telle que la fresque « Le Jugement dernier » réalisée entre 1536 et 1541, l’artiste utilise les nus symboliques pour exprimer à la fois puissance et vulnérabilité humaine. Cette approche ne manque pas de provoquer des débats au sein de l’Église. En effet, certains membres du clergé jugent ces représentations indécentes. Biagio da Cesena, un fonctionnaire du Vatican, critique ouvertement l’œuvre, la qualifiant d’« extrêmement déshonnête ». En réponse, le pape Paul IV ordonne que certaines figures soient partiellement couvertes. Ces ajouts perdurent jusqu’à la restauration de 1994. Certains drapés sont alors enlevés, ré-exposant la vision originale de Michel-Ange.
L’évolution artistique de la nudité se manifeste également à travers les œuvres mettant en scène la crucifixion de Jésus ou le martyre de saint Sébastien. La chair martyrisée noue des liens entre le divin, l’humain et la sexualité.
L’Hermaphrodite endormi entre mystère et désir
La salle des Caryatides au Musée du Louvre présente un personnage mythologique grec issu de l’union d’Aphrodite et Hermès. L’« Hermaphrodite Borghèse » ou « Hermaphrodite endormi » est une sculpture romaine du 2ème siècle après J.C., probablement une copie d’une œuvre hellénistique. Le cardinal Borghèse commandite sa restauration en 1619, Le Bernin sculptera le matelas.
Ce corps, nu et étendu sur un matelas attire le regard par sa beauté androgyne et érotique. Hermaphrodite présente une ambivalence sexuelle, illustrée par un corps doté à la fois de caractéristiques masculines et féminines. L’œuvre joue sur l’ambiguïté et le mystère, incitant le spectateur à imaginer divers scénarios amoureux. Les cheveux longs et la posture alanguie de la statue participent à une indifférenciation sexuelle. Elle fait écho à une perception érotique antique où le sexe de l’objet du désir importait peu. Cette dimension érotique renvoie à des poètes latins comme Horace et Ovide, qui écrivirent sur des amours dans lesquels le genre était secondaire.
Art et libertinage au 18ème siècle
Au 18ème siècle, l’art et la littérature explorent la fascination pour les mythes et le libertinage. Pouvoir et séduction y incarnent des apparences trompeuses. Les récits mythologiques, comme ceux de Zeus, révèlent souvent des intentions violentes cachées derrière des symboles séduisants tels que l’aigle et la foudre. Dans les Métamorphoses d’Ovide, les prétendues séductions de Zeus s’apparentent souvent à des viols. On y voit là un reflet des comportements humains extrêmes.
Pouvoir et consentement ambigu
L’ambiguïté du consentement domine la culture libertine de l’époque, illustrée par des œuvres comme le « Léda et le cygne » de Jean Thierry en 1717. Parallèlement, le désir, qui se dévoile dans la sculpture et les arts en général, s’inscrit dans une longue tradition de représentations féminines emblématiques. Des figures comme Vénus, déesse de l’amour et de la beauté, sont souvent représentées comme des symboles de la sensualité féminine. Par exemple à travers des sculptures emblématiques telles que la Vénus de Willendorf et des œuvres comme « La naissance de Vénus » par Botticelli et la « Vénus d’Urbin » par Titien. Ces œuvres véhiculent l’image d’une beauté idéale qui oscille entre la pureté et la sensualité. Elles illustrent l’évolution des perceptions du corps féminin et de la sexualité, ainsi qu’une quête séculaire d’expression des désirs.
À mesure que la bourgeoisie s’enrichit, de nouvelles dynamiques de pouvoir se développent. L’œuvre « L’Enlèvement d’Europe » de François Boucher en 1747 reflète l’acceptation tacite des abus dans la société, sans critique des rapports de genre. Avec « L’épouse indiscrète » Pierre Antoine Baudouin réalise en 1769 une satire des relations hiérarchiques à travers une comédie teintée d’ironie. Des pièces telles que « La cruche cassée » de Jean-Baptiste Greuze en 1771 symbolisent les thèmes de la perte de virginité et du passage tumultueux à l’âge adulte.
L’Érotisme dans l’Art du 19ème siècle
Une captivité sublimée dans la sculpture
Gustave Obiols aborde le thème de l’érotisme et du bondage avec son œuvre « Andromède enchaînée ». Ce mythe illustre la tension entre le désir et le sacrifice. Andromède, sacrifiée pour Poséidon, incarne le corps féminin érotisé et objet de désir. Sa posture torturée, ses poignets enchaînés évoquent sa souffrance et questionnent sa captivité. On peut citer des sculptures antérieures comme la « Vénus couchée » de Lorenzo Bartolini en 1822. L’artiste utilise des poses suggestives soulignant l’objectification du corps féminin. La nudité mise en scène dévoile une beauté sans conscience. D’autres œuvres, comme « L’Enlèvement des Sabines » par Jean de Bologne en 1638 ou encore « l’Enlèvement de Proserpine » par le sculpteur Le Bernin en 1621, évoquent des sujets plus sombres, tels que l’agression.
Domination et soumission dans l’œuvre de Marqueste
Laurent Marqueste, influencé par l’art de la Renaissance, excelle à représenter des scènes mythologiques avec intensité. Dans son chef-d’œuvre « Persée et la Gorgone » réalisé entre 1875 et 1890, il s’inspire de l’œuvre de Cellini de 1553, où Persée tient la tête de Méduse. Ce travail va au-delà de la simple démonstration de force, explorant une dimension où l’acte héroïque se mêle à une beauté sauvage. Dans sa version, qui précède l’acte fatal, Persée saisit la tête de Méduse par ses cheveux serpentiformes enjambant la Gorgone terrorisée et captive.
Marqueste a choisi de sculpter la Gorgone en s’inspirant de la « Marseillaise » de François Rude pour la tête de la gorgone. Le sculpteur insuffle à cette scène une sensualité palpable. Chaque ligne du corps de Persée résonne de force brute transformant la violence en une expression de puissance virile. Il affiche une impassibilité et une détermination qui tranchent avec la terreur figée de Méduse. Cette figure féminine vulnérable accentue une tension érotique dérangeante dans l’interaction du héros dominant et de la victime dominée.
Réalisme érotique : Clésinger et les courtisanes en sculpture
Le sculpteur Clésinger provoque un scandale lors de l’exposition au salon de peinture de 1847. L’artiste présente sa sculpture « Femme piquée par un serpent » dans laquelle un serpent mord une femme en référence à Cléopâtre. Cette œuvre choqua les visiteurs qui y percevaient une représentation de plaisir plutôt que de douleur. La célèbre courtisane Apollonie Sabatier a servi de modèle, celle la même qui captivait tout le milieu littéraire parisien. L’œuvre, révélant la nudité et la cellulite de la demi-mondaine, rompait avec l’idéalisation classique pour offrir une image plus réaliste.
Clésinger avait en effet réalisé un moulage direct du corps de la courtisane. Cette méthode critiquée pour son manque de tradition et d’intégrité artistique, suscita l’indignation par son réalisme audacieux, contrastant avec les sculptures de l’époque. Bien que des personnalités comme Delacroix qualifiaient l’œuvre de « daguerréotype » (quasi photographique), le soutien de Théophile Gautier assura son succès. Elle devint une pièce maîtresse de l’éclectisme en sculpture. L’œuvre influença des artistes tels que Schoenewerk, qui créa sa « Jeune Tarentine » en 1871. Clésinger livra sa vision très érotique de « Leda et le Cygne » en 1864.
L’ère des courtisanes dans l’art
Dès lors, ces nouveaux modèles féminins pleins d’audace remplacèrent sur la scène artistique les reines et les déesses mythologiques. Les courtisanes aspiraient à devenir des femmes influentes, à l’image de la comtesse de la Païva sur les Champs-Élysées. Elles occupaient alors le sommet de la hiérarchie de la prostitution et cherchaient à s’associer avec des hommes puissants pour obtenir richesses et prestige.
L’audace de Carpeaux défie les normes artistiques
Dans la nuit d’août 1869, un acte de vandalisme attire l’attention générale. Une bouteille d’encre est projetée sur « La Danse », l’œuvre de Jean-Baptiste Carpeaux ornant la façade de l’Opéra Garnier. Cette attaque laisse des marques noires sur les figures nues de la sculpture, amplifiant ainsi un scandale déjà brûlant autour de l’audace de cette création artistique.
Représentant des figures nues entraînées dans une danse enivrante par le génie de la danse, l’œuvre ne cesse de diviser. Tandis que certains admirent la maîtrise artistique et l’expression de liberté, d’autres la condamnent pour son caractère trop provocant. Les caricaturistes s’emparent de ce sujet, et les journalistes décrivent avec virulence cette ronde effrénée. Les plus critiquent la qualifie d’obscène. Edmond de Goncourt popularise même l’expression « faire le groupe de Carpeaux » pour désigner des moments de libertinage.
Face à ces controverses, Carpeaux doit défendre bec et ongles son œuvre contre les velléités de censure. Grâce à l’intervention d’un chimiste, les taches d’encre sont effacées, mais le débat reste intense. Les propositions de remplacer la sculpture sont fermement rejetées par Carpeaux dans une lettre ouverte, et l’œuvre parvient à traverser cette période de tempête. En 1964 l’œuvre originale marquée par le temps et remplacée par une réplique du sculpteur Paul Belmondo à l’Opéra Garnier, tandis que l’original restauré est au musée d’Orsay. Découvrez l’histoire de cet artiste dans le podcast « Carpeaux : un artiste rebelle de la sculpture du Second Empire ».
Degas, la danse et le réalisme sculptural
Au cours des vingt premières années de sa carrière, Degas explore divers genres artistiques. L’artiste a une prédilection initiale pour les portraits. Fasciné par les accessoires, il joue avec la frontière entre portrait et nature morte. Dans les années 1860, il se tourne vers la peinture historique tout en continuant de s’intéresser aux scènes de courses de chevaux, de danse, d’opéra et de la vie quotidienne. Degas est passionné par les danseuses, qu’il représente avec des détails vivants et créatifs. L’artiste ne réalisera que quelques sculptures.
« La Petite Danseuse de 14 ans » présentée au Salon des Indépendants en 1881, s’inspire de Marie van Goethem, une jeune danseuse belge née en 1865. La sœur de cette dernière pose aussi pour Degas, apparaissant notamment dans « La Classe de ballet ». Toutefois, en mai 1882, Marie est renvoyée de l’Opéra pour absentéisme et finit par sombrer dans la prostitution.
Entre intimité artistique et scandale public
Lors de sa première exposition en 1881, elle provoque un scandale dû au réalisme troublant de l’œuvre, perçu comme vicieux par certains critiques. Degas la retire alors de la vue du public. L’œuvre originale fait preuve de modernité surprenante avec l’utilisation de cire et de véritables accessoires (vrai cheveux, vrai vêtements, vrais chaussons). L’apparence jugée provocante de la jeune danseuse, venant d’un milieu modeste et évoluant dans le monde ambivalent de l’Opéra, a soulevé la question des rapports complexes entre l’artiste et sa très jeune modèle. Conservée dans l’atelier de Degas, la sculpture est convertie en bronze en 1921 après la mort de l’artiste.
Le nu féminin entre art et pornographie ?
Le corps féminin est également souvent comparée à un serpent, un symbole phallique qui évoque le récit biblique d’Ève. L’iconographie de la femme orientale est fantasmée par le regard occidental. Des peintures comme « Le bain turc » d’Ingres en 1863 et « Le marché d’esclaves » de Gérôme en 1866, l’illustrent et renforcent les stéréotypes de cette époque. Des œuvres telles que « Japonaise au bain » de James Tissot en 1864 et « L’ensorceleuse » de Luis Ricardo Falero en 1878 alimentent également ces mythes exotiques.
Quand Courbet dévoile l’inavoué
Alors que le sexe féminin reste caché, suggéré, lissé, Gustave Courbet montre ce que tous veulent voir sans l’avouer. Le tableau « L’Origine du monde » créée en 1866, offre une représentation directe de la vulve, presque photo-réaliste. Bien qu’elle ait suscité la controverse à son époque, cette œuvre continue d’intriguer et de séduire. Conçue pour un collectionneur privé, elle attire encore aujourd’hui l’attention et soulève des discussions sur la représentation du corps féminin. On peut se demander en quoi l’art se distingue de la pornographie.
Esthétique, Émotions et Perception
L’art du nu met en avant l’esthétique et les émotions, explorant des thèmes de beauté et de sensualité. Tandis que la pornographie vise principalement à susciter une réaction sexuelle, sans intention narrative ou esthétique. Le lieu de présentation, tel qu’une galerie d’art, influence également la perception, orientant vers une perspective artistique. En fin de compte, la différence réside dans l’objectif de l’œuvre et la façon dont elle est présentée et reçue. La représentation artistique du corps questionne et façonne notre regard sur la sexualité et le genre, en exigeant une réflexion sur ses implications sociales.
Tradition et modernité avec le Kanamara Matsuri
Le Kanamara Matsuri, ou festival du pénis, se tient chaque année début avril à Kawasaki au Japon. Ce festival, créé au 17ème siècle par des prostituées pour se protéger des maladies sexuellement transmissibles, célèbre la fertilité. Le sanctuaire Kanayama, centre de la célébration, attire des croyants souhaitant améliorer leur vie familiale. Pour l’occasion trois pénis emblématiques, en bois et en fer, sont transportés lors de parades.
C’est un événement festif sans débordements qui s’inscrit depuis plusieurs décennies dans la lutte contre le VIH, preuve d’une adaptation à notre époque. Finalement, peut-être qu’un événement similaire pourrait encourager ailleurs des discussions plus franches et positives sur des sujets souvent tabous comme la sexualité.
Redéfinir le lien entre sculpture, érotisme et sexualité
L’évolution de la représentation du corps et de la sexualité dans l’art témoigne d’une riche histoire de fascination et de controverse. Des divinités sculptées de l’Antiquité jusqu’aux œuvres audacieuses de l’ère contemporaine, chaque période a ses particularités et son propre discours autour du corps humain.
Que ce soit à travers les mythes classiques, les débats sur le libertinage, ou encore les représentations artistiques audacieuses, l’art ne cesse d’interroger et de repousser les limites de la morale et de l’érotisme. Cet héritage historique invite aujourd’hui à des questions plus larges autour de la perception du nu, distinguant entre art et pornographie, mais également à réfléchir sur le genre et la culture. Les dialogues anciens peuvent encore résonner dans notre monde moderne, où la compréhension et l’acceptation de la sexualité continuent de s’enrichir.
La sculpture et l’érotisme entretiennent un lien étroit, souvent exploré à travers les mythes et les représentations artistiques. À travers l’art, nous sommes encouragés à revisiter nos perceptions, à célébrer la diversité des formes humaines et à initier des discussions plus ouvertes sur des thèmes longtemps restés dans l’ombre.
Les représentations féminines ont traversé les âges. En peinture et en sculpture, 80 % des nus sont féminins, car l’érotisme a longtemps été considéré comme un domaine masculin. En effet les hommes étant souvent les seuls à peindre ou à exposer. Ce n’est qu’au 20ème siècle avec l’art contemporain que l’on voit les premières représentations de la libération du corps féminin par des artistes femmes. Le 21ème siècle voit apparaître un nouveau regard des femmes sur leurs propres désirs et fantasmes.