You are currently viewing La mode est un art qui sculpte le corps et le temps

La mode est un art qui sculpte le corps et le temps

Depuis la nuit des temps, l’être humain a eu besoin de se vêtir pour se protéger des conditions extérieures. Mais de cette fonction utilitaire a évolué, le vêtement intègre également des fonctions sociales, esthétiques, politiques, idéologiques parfois. Sculptant le corps, le vêtement sculpte aussi son temps, son époque. Ainsi l’art et la mode partagent des valeurs communes. Ce sont des moyens d’expressions qui accompagnent les changements dans notre société au fil des siècles.

Quand la mode devient une oeuvre en trois dimensions

La mode est un art multi-dimensionnel qui propose des vêtements semblables à des sculptures. Elle façonne notre silhouette et nous permet d’affirmer notre personnalité. Le langage visuel des vêtements raconte des histoires, tout comme une œuvre d’art véhicule un message. En effet, nos tenues ont la capacité de transmettre un message social ou encore idéologique. Par exemple l’uniforme ou les codes vestimentaires propres à une entreprise.

La mode est une forme d’art à part entière, capable de transmettre des informations et des émotions. Dans le monde de la mode, le processus de modélisme joue un rôle essentiel. En effet, les modélistes utilisent des techniques de modelage pour donner forme et volume aux vêtements. Le moulage sur buste est une pratique courante. Cela consiste à ajuster directement le tissu sur un mannequin en trois dimensions afin de créer un prototype. Cette approche leurs permet de traduire fidèlement les proportions et les détails du modèle. En combinant le modelage avec des techniques de coupe et de montage, les modélistes sont capables de créer des prototypes qui reflètent parfaitement la vision des designers. Ces prototypes servent avant tout de base pour la production en série des vêtements.

Des vêtements très utilitaires
Des vêtements très utilitaires pour affronter les rigueur du climat

De la fonctionnalité à la haute couture : la naissance de la mode

Dès la préhistoire, l’évolution des vêtements souligne le climat et le mode de vie de chaque époque, de la peau de bête à l’utilisation de la soie jusqu’aux matières synthétiques.

Tuniques gréco-romaines
Les tuniques gréco-romaines

Loin des tuniques mixtes de l’époque gréco-romaine, la robe devient le vêtement principal pour les femmes à la fin du 15ème siècle. L’Italie, l’Espagne et la France influencent la mode européenne dès le 16ème siècle, apportant des styles riches et variés. Au 17ème siècle, la mode française atteint son apogée et rayonne de son savoir-faire grâce à Louis XIV. La mode est pensée, créée et portée par une élite, qui met au goût du jour le corset et la crinoline. Les tenues sont excessives, fantaisistes et hors norme. Au 18ème siècle, Rose Bertin, ministre des modes et modiste de la reine Marie-Antoinette poussera à son paroxysme cette mode exubérante. Certains historiens considèrent que ces excès artistiques ont contribué à la colère du peuple. En effet, la Révolution française de 1789 voit une simplification des vêtements et un désintérêt des hommes pour la mode.

L’avènement de la mode sous l’Empire

Sous l’Empire, la mode reprend sa part de légitimité et les vêtements se font plus amples et ajustés. Connu sous le nom de la mode empire. Au milieu du 19ème siècle, la haute couture voit le jour avec Charles Frédérick Worth qui impose des normes encore d’actualité aujourd’hui tels que la notion de collection, de saisonnalité ou encore de défilé. Dès lors, l’homme renonce à la mode et se contente uniquement de costume sur-mesure, événement théorisé bien plus tard par John Carl Flügel en 1930, appelé « la grande renonciation masculine ». Quant aux femmes, elles se libèrent peu à peu des conventions sociales et les couturiers répondent alors aux nouveaux critères de leur clientèle.

De la haute couture à l’expérimentation : la démarche artistique

Jeanne Lanvin, devient la première modiste à ouvrir son atelier à Paris en 1889 et Jeanne Paquin ouvre la première maison de haute couture tenue par une femme en 1891. C’est un tournant majeur dans l’histoire de la mode, qui symbolise l’émancipation et le talent des femmes dans l’industrie.
Tout au long du 20ème siècle, on observe une évolution marquante de la mode.

L’apogée de la haute couture

Début 1900, Paul Poiret supprime le corset et libère le corps des femmes. Le créateur a une vision fantasmée de l’Orient qu’il traduit dans ses collections et ses galas. Il crée les tenues des « Ballets Russes » en 1905 ou encore les tenues de son spectacle « La Mille et deuxième nuit » en 1911. Dès lors, les femmes voient leur garde robe s’alléger mais subissent néanmoins de nouvelles restrictions tels que la gaine. Certaines maisons de haute couture vont alors s’inspirer de l’époque classique pour créer de nouveaux modèles. Mariano Fortuny, artiste, artisan et alchimiste invente sa célèbre robe « delphos » en 1907 ou encore Madeleine Vionnet, qui invente à partir de 1912 la coupe en biais et d’artistiques drapés au service des femmes.

Au début des années 1920, Gabrielle dite Coco Chanel révolutionne la mode féminine en combinant simplicité, praticité et élégance. Elle intègre des pièces issues du vestiaire masculin dans ses créations pour améliorer le quotidien des femmes et légitimer leurs place en société. Cependant sa grande rivale, Elsa Schiaparelli crée des tenues exubérantes en collaborant avec des artistes tels que Salvador Dali ou Jean Cocteau. Ces collaborations ont donné naissance à des oeuvres surréalistes comme le « Tailleur-Tiroir » ou encore « la robe homard ».

Le krach boursier de 1929 marque la fin des années folles et le début d’une mode aux coupes strictes et utilitaires, dû à la monté en puissance des régimes totalitaires. La Seconde Guerre mondiale entraîne des restrictions de matières premières durant plusieurs années, ce qui impacte toute l’industrie de la mode. Néanmoins, au lendemain de la guerre le couturier Christian Dior lance en 1947 le célèbre « Tailleur Bar », marquant l’avènement du « New Look ». Les années 50 marquent l’âge d’or de la Haute qui ne tardera pas toutefois à perdre ses lettres de noblesse.

L’expérimentation de la démarche artistique

Dans les années 1960, Yves Saint Laurent crée sa Maison de couture. Il se positionne en couturier et impose de nouveaux modèles comme le smoking pour femme. Par ailleurs, une nouvelle vague de créateurs voit le jour en totale contradiction avec la génération de couturiers qui s’appliquaient à la haute couture. Ces nouveaux créateurs proposent du prêt-à-porté de luxe, plus accessible et répondant aux critères d’une nouvelle jeunesse dorée. On ne crée plus mais on expérimente : la maille chez Sonia Rykiel, le métal chez Paco Rabanne, ou encore le plastique chez André Courrèges. Cette nouvelle scène remet en question les notions conventionnelles de praticité et de confort. Elle valorise plutôt les créations que les modèles. Par ailleurs, on voit l’avènement de la mini-jupe avec Mary Quant ou le port du jean avec Levi’s. À Londres, des créateurs tel que Vivienne Westwood mettent en avant une mode rebelle et engagée.

Des formes anti-conventionnelles
Comme des Garçons, prêt-à-porter S/S 1997

Les années 70, sont marquées par l’émergence de l’avant-garde japonaise. Issey Miyake utilise le drapé et le plissé et Rei Kawakubo avec sa marque « Comme des garçons » met en avant des formes anti-conventionnelles. Ils font tous deux partie de la vague anti-mode.

Jean-Paul Gaultier prêt à porter, S/S 1986 - Cinquième élément L.Besson - Haute Couture S/S 1997
Jean-Paul Gaultier prêt-à-porter, S/S 1986 – Cinquième élément L.Besson – Haute Couture S/S 1997
Thierry Mugler et sa collection "Les Insectes"
Thierry Mugler, haute couture S/S 1997
Claude Montana, prêt à porter S/S 1988
Claude Montana, prêt-à-porter S/S 1988

Les années 80 voient la mode devenir plus libre et individualiste. Des créateurs comme Jean-Paul Gaultier, Claude Montana, Thierry Mugler, Azzedine Alaïa prennent le devant de la scène et revendiquent une mode démesurée et assumée. Alaïa a l’approche la plus sculpturale de tous, inspirée par la peinture, la sculpture et l’architecture. Il utilise ses mains pour façonner les tissus à même le corps des mannequins.

En 1984, au Palais de l’Élysée, le Président de la République François Mitterrand reconnaît la mode comme un art majeur. Dès la fin des années 80, la plupart des maisons sont rachetées par les grands groupe (LVMH, Kering anciennement Pinault-Primtemps-Redoute). Seront placés à leurs têtes de nouveau directeurs artistiques tels que Karl Lagerfeld chez Chanel ou encore John Galliano chez Dior. Par ailleurs l’esthétique minimaliste est en vogue avec des créateurs comme Martin Margiela, Helmut Lang et Jil Sanders.

L’innovation : les technologies au service de la mode

Les années 2000 marquent le début d’une ère de surconsommation et de pluralité des styles. La mode se démocratise de plus en plus au prix de conditions de travail désastreuses dans des pays en voie de développement. Appelée la « fast fashion ». Cependant, les nouvelles technologies amènent de nouveaux créateurs qui s’amusent à transformer la perception du corps. Ainsi, les vêtements ne se limitent plus à leur fonctionnalité ou à leur signification sociale. Ils peuvent également être considérés comme des oeuvres d’arts. Certains designers repoussent les limites de la mode traditionnelle en créant des vêtements en trois dimensions.

Alexander McQueen pour givenchy
Givenchy par Alexander McQueen, haute couture S/S 1997

Alexander McQueen : des créations à plusieurs dimensions

Par exemple Alexander McQueen, qui impose une dimension politique et technologique à ses créations. Il critique la surconsommation dans le monde de la mode et questionne les normes esthétiques traditionnelles. Le défilé printemps-été 1999 témoigne de son attrait pour les nouvelles technologies. On y voit en effet Shalom Harlow dans une robe peinte à la bombe par des bras robotisés. Ce final réalisé devant les spectateurs est devenu l’un des plus mémorables de l’histoire de la mode. Pour son défilé automne-hiver 2006, le créateur britannique présente la mannequin Kate Moss en hologramme projeté dans une robe en organza flottant dans les airs. Il est d’ailleurs le premier créateur à diffuser en direct l’un de ses défilés sur internet.

Iris Van Herpen : la fusion de la mode et de l’art contemporain

Iris van Herpen quand à elle, se situe au carrefour de la mode et des beaux-arts. Adepte de l’impression 3D et des matières nouvelles, elle est connue pour ses tenues organiques, expérimentales et futuristes. Elle fusionne haute couture, art contemporain, design et science pour une exploration spectaculaire de son univers. Elle a collaboré avec différents artistes comme l’architecte Philip Beesley ou encore l’artiste Anthony Howe avec qui elle a créé une série de silhouettes hypnotiques inspirées des sculptures cinétiques de l’artiste. Vous pouvez voir une vidéo de la collection en cliquant sur ce lien.

Coperni : la vaporisation qui devient vêtement

La marque Coperni, et son duo créatif Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant, continue de repousser les limites de la mode en utilisant des techniques innovantes. En 2010, le designer et scientifique Manel Torres met au point une substance pouvant se transformer en tissu. Le défilé printemps-été 2023 rend hommage à la forme sculpturale du corps humain et explore l’impact de la machine sur l’homme, à l’instar d’Alexander McQueen. Les spectateurs ont alors pu assister à une performance qui a fait sensation. La mannequin Bella Hadid, partiellement dénudée, se voit revêtue de couches de cellulose pulvérisée jusqu’à former une robe-sculpture. Cette robe a été saluée par de nombreux internautes comme étant exceptionnelle, iconique et révolutionnaire dans l’industrie de la mode et de l’art sculptural.

Loewe : la pixellisation au service de la mode

La maison espagnole Loewe a su également innover avec sa collection printemps-été 2023 qui a ébloui les invités. Ce fut un jeu d’illusion et de trompe-l’œil afin que la frontière entre vrai création et faux semblant soit imperceptible. Robes en métal ou en polymère imprimés en 3D, vêtements semblant composés de blocs de Lego ou de pixels. Cette démarche artistique nous incite à réfléchir sur la façon dont la nature joue avec l’illusion créée par les fausses réalités numériques.

Nathalie Talec : une artiste qui inclue la mode

L’artiste au multiples compétences Nathalie Talec a quand à elle décidé d’explorer les liens entre le corps, l’esprit et les sensations à travers ses sculptures-vêtements, dessins, photographies et vidéos. Les œuvres présentées sont un refuge émotionnel, une réflexion sur la perception et la protection. Elles reflètent ainsi l’attrait de l’artiste pour les pôles et l’action du froid. L’art doit être accessible à tous, sans distinction. Ses œuvres, sculptures, vêtements ou performances, sont conçus pour permettre à chacun de s’exprimer et de se sentir en sécurité.

Les vêtements-sculptures qu’elle crée, sont donc destinés à tous quelle que soit la taille, la couleur ou le modèle. Ils offrent un abri pour nos émotions et permettent de se replier sur soi avant d’affronter le monde extérieur. Nathalie Talec donne une fonction à chaque forme. Une doudoune peut avoir une forme qui enferme de l’air mais également joue le rôle d’isolant thermique. Ainsi, la forme devient le refuge des sens et de l’intimité, permettant à chacun de trouver sa propre expression artistique.

De la haute couture au prêt à porter, la démarche artistique
Yves Saint Laurent, haute couture A/W 1966 – A/W 1988 – Martin Margiela, prêt-à-porter S/S 1997

La mode : un art à part entière

Les créateurs, designers, concepteurs sont adeptes des nouvelles technologies pour créer des vêtements sculpturaux qui défient la gravité. Ils se distinguent par leurs formes originales et inventives, allant également à l’encontre les conventions de la mode contemporaine. En mettant l’accent sur le jeu des volumes, des textures et des motifs, ils offrent ainsi une nouvelle vision de la manière dont les vêtements peuvent être perçus et appréciés. Cette tendance explore l’aspect artistique du vêtement, le transformant en une forme d’expression créative.

Le vêtement devient sculpture et une nouvelle forme d’art apparaît, mêlant le savoir faire du passé et les innovations technologiques d’aujourd’hui.

Tous ces créateurs cités repensent et questionnent les implications des limitations imposées par le choix vestimentaire sur le corps. De même la manière dont le vêtement se transforme en une deuxième peau est soulevée. Malgré les préjugés de superficialité, ils trouvent inspiration et idées communes dans d’autres formes artistiques. Il est indéniable que l’apparence physique et la mode jouent un rôle central dans nos interactions avec le monde et les autres. Michel Maffesoli met en évidence l’importance de l’apparence dans la société contemporaine. Il souligne que les vêtements, de même que leur absence, sont des moyens de communication et de création de liens sociaux. Le vêtement de mode est une extension de notre identité et contribue à façonner notre image. Les designers de mode vont au-delà de l’aspect visuel. En définitive, ils imaginent de nouveaux mondes et nous permettent de nous exprimer pleinement.

Article écrit en collaboration avec C.C.M.

Si vous avez aimé, faites le savoir :)

Laissez moi un commentaire :)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

  • Temps de lecture :19 min de lecture