L’art, qu’il se manifeste sous la forme d’une peinture, d’un poème ou d’une sculpture, accompagne l’humanité depuis ses origines. Il oscille entre esthétique et significations plus profondes. Au cours de l’histoire, de nombreuses œuvres ont servi à véhiculer des idées politiques et sociales. Elles deviennent alors des instruments de propagande. Ce phénomène s’intensifie au 20ème siècle, où des mouvements artistiques, tels que le surréalisme, cherchent à défier les normes établies. Ce mouvement aborde toutefois des enjeux cruciaux comme la guerre, le colonialisme et la condition humaine. À travers cette initiative, les surréalistes ont fait vibrer une note anticonformiste. Ils ont questionné les fondements de la société en désignant l’art comme un outil d’émancipation.
Cependant, ce même art a été récupéré par des acteurs économiques, transformant progressivement la notion de propagande en une stratégie de marketing sophistiquée. Les créations artistiques se mettent ainsi au service des intérêts commerciaux. Cette évolution soulève des interrogations concernant la place de l’artiste dans une société où l’art devient une simple marchandise et un instrument d’influence sur les comportements. À travers cette analyse, nous explorerons les interactions complexes entre la sculpture, l’art et la propagande. Nous révélerons ainsi un paysage artistique où créativité et consommation se croisent, souvent au détriment d’un engagement critique et conscient.
Surréalisme et propagande : un engagement anticonformiste et créatif
En 1924 André Breton publie « Le manifeste du surréalisme » et initie un mouvement qui privilégie l’inconscient et la liberté d’expression. Le mouvement surréaliste s’oppose à la propagande en affirmant un engagement politique et créatif. Leur collaboration avec les revues Clarté et Philosophies, ainsi que leurs publications critiques et anticolonialistes, illustrent cette position. Après l’échec de la revue « Guerre civile », le mouvement poursuit sa mission innovante et anticonformiste, cherchant à dénoncer les normes sociétales et artistiques établies.
Engagement politique et critique sociale
En 1931, les surréalistes s’opposent à l’Exposition coloniale en organisant une contre-exposition dénonçant les crimes du colonialisme. L’exposition surréaliste de 1936 présente des objets étonnants comme un tamanoir empaillé, des masques du Groenland et de Nouvelle-Guinée. On peut également y voir « Le déjeuner en fourrure » de Meret Oppenheim. En 1933, Breton et André Masson créent la revue « Minotaure », symbole de la dualité humaine. Picasso en ferra la première couverture.
Malgré les difficultés de la reconstruction de la France d’après 1945 et le climat de la guerre froide, André Breton continue de défendre le surréalisme. Il s’oppose à des figures comme Tristan Tzara qui revendique ses positionnements politiques au nom des surréalistes et Jean-Paul Sartre qui considérait les surréalistes comme des petits-bourgeois.
Critique d’un progrès aliénant
En 1959 la galerie Drouin expose l’art brut, créé par des aliénés et marginaux, rendant hommage à leur créativité et à leur feu sacré. En décembre 1965, la galerie l’Oeil à Paris présente « L’Écart Absolu », la onzième et dernière exposition internationale du surréalisme. S’inscrivant dans les idées d’Herbert Marcuse et de son livre « L’Homme unidimensionnel », l’exposition critique un progrès technologique devenu aliénant. Elle dénonce ainsi un progrès qui a trahi ses promesses de libération.
De muses à créatrices, la place des femmes change
Bien que le surréalisme ait initialement cantonné les femmes à des rôles de muses et d’objets de désir, cette dynamique a évolué. Des artistes comme Jacqueline Lamba, Meret Oppenheim et Dorothea Tanning ont affirmé leur présence. Elles explorent les thèmes du désir et du rêve, tandis que Lee Miller et Dora Maar remettent en question la nature de la réalité elle-même.
La mort de Breton en 1966 ne freine pas l’inspiration qu’il suscite parmi les artistes et poètes, toujours animés par le désir de transformer le monde. Alberto Giacometti, Salvador Dalí, Joan Miró, Man Ray…plusieurs sculpteurs ont intégré, de façon éphémère ou durable, le mouvement surréaliste.
Et la propagande devint publicité : manipuler les émotions, modifier les comportements
L’économie psychique : l’art de captiver les consommateurs
1 – Le principe de l’épargne physique
Freud avance en 1905 que l’esprit humain fonctionne sur le principe d’économie. Les individus tentent d’atteindre leurs objectifs avec un minimum d’effort. Ils cherchent à maximiser le plaisir tout en minimisant la douleur et l’énergie psychique. Ce principe peut être appliqué à la perception des messages publicitaires. Les références à des œuvres connues ou à des symboles universels facilitent le traitement de l’information par le consommateur. Cela la rend familière et moins exigeante cognitivement.
2 – Captation de l’attention
Freud soutient qu’un individu est plus susceptible de s’intéresser à ce qu’il connaît déjà. Les publicitaires créent donc des allusions à des œuvres d’art ou à des références culturelles ancrées dans la mémoire collective. Ce procédé les aide à capter l’attention et à provoquer une réaction chez le consommateur.
3 – Sentiment d’Appartenance
Les marques cultivent un sentiment de complicité chez le consommateur. La familiarité d’une œuvre comme « La Cène » de Léonard de Vinci suscite une réaction émotionnelle forte. Le message publicitaire s’en trouve plus impactant. Les consommateurs se sentent ainsi rattachés à un univers culturel, renforçant leur lien avec la marque.
4 – Implications Émotionnelles
Les émotions jouent un rôle crucial dans la réception des messages publicitaires. Les œuvres artistiques évoquent des réponses émotionnelles complexes influençant les choix d’achat. Ici le marketing moderne détourne le travail de Freud. Les expériences émotionnelles orchestrées par les publicitaires peuvent affecter les comportements d’achat plus puissamment que des arguments purement rationnels.
Edward Bernays : l’art de manipuler les masses
Au début du 20ème siècle, Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud, transforme le marketing et les relations publiques. Il y intègre des techniques de propagande pour influencer le consentement des consommateurs. Il joue un rôle clé dans la mobilisation de l’opinion publique pour l’entrée des États-Unis dans la Première Guerre mondiale. Avec le soutien du gouvernement américain il intègre le Committee on Public Information en 1917, s’inspirant des théories de Gustave Le Bon sur les émotions des foules.
Pour Bernays les foules agissaient sur des pulsions inconscientes. Il prônait l’idée qu’une élite devait guider les masses, qualifiant la propagande « d’organe exécutif du gouvernement invisible ». Ses théories ont influencé des figures comme Joseph Goebbels et ont contribué à l’émergence du marketing moderne.
De la propagande aux relations publiques
Bernays a utilisé la psychologie du subconscient pour manipuler l’opinion publique. Il fonde sa propre agence, redéfinissant le terme propagande en « relations publiques ». Lors de la campagne pour le savon Ivory de Procter & Gamble en 1924, il façonne les comportements. Il instaure un concours de sculpture en savon, modifiant le comportement des enfants vis à vis de ce produit. Bernays ajuste ainsi une visée à plus long terme tout en assurant la promotion des produits. Les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain. En combinant divertissement et communication, il a modelé la culture de consommation américaine, souvent en négligeant les enjeux éthiques.
Sa campagne emblématique pour Lucky Strike a permis aux femmes de s’approprier la cigarette comme « symbole d’émancipation » lors du défilé de Pâques en 1929. Soigneusement orchestré, il s’agissait de faire de jeunes femmes fumer lors d’une manifestation à laquelle les suffragettes se joignaient. La couverture de l’événement par les journaux de l’époque garantissait un succès à la manœuvre.
Propagande et publicité : Instruments de persuasion au service du capitalisme
Cependant, cette dynamique soulève une question cruciale : peut-on considérer la propagande comme un moyen de promouvoir le capitalisme ? La publicité dépasse sa simple fonction commerciale en engendrant un rôle politique et culturel au sein du système capitaliste, accentuant les inégalités et manipulant les masses. La bourgeoisie, par la libéralisation des mœurs et du cadre économique, utilise la propagande comme un outil d’influence. Cela favorise des valeurs d’individualisme et de consommation, souvent au détriment de l’engagement civique. Les grandes entreprises contrôlent la production et la demande, façonnant ainsi les désirs des consommateurs à travers des approches marketing et de neuromarketing qui infiltrent l’inconscient collectif.
Dans ce contexte, les vérités établies sont rarement remises en question, et un confort matériel peut conduire à un désengagement et à une déshumanisation. Par conséquent, la propagande peut être considérée comme un instrument de promotion du capitalisme. Les stratégies de publicité et marketing vont au-delà du simple acte de vente. Elles influencent les comportements et renforçent l’hégémonie d’une minorité. En contrôlant l’information et en restreignant la participation des classes populaires, la propagande transforme les dynamiques démocratiques en instruments d’influence. Cela consolide un ordre établi et complexifie toute remise en question de ce modèle de pouvoir.
Art, publicité et propagande : l’évolution d’un rapport complexe entre création et consommation
Art nouveau et publicité : une alliance créative
Dès la fin du 19ème siècle de grands artistes de l’Art Nouveau ont travaillés à la publicité. Toulouse-Lautrec, Mucha, Moser, Privat-Livemont, de Feure, Grasset, Bradley, Crespin, Berthon,… Tous ont réalisé nombre d’affiches de réclame aujourd’hui très recherchées et considérées comme des œuvres à part entière.
Alfons Mucha, artiste emblématique de l’Art nouveau, devient célèbre grâce à son affiche pour la pièce « Gismonda » de Sarah Bernhardt en 1894. Cette œuvre accrocheuse, conçue pour l’actrice renommée, reflète des éléments byzantins. Elle établie Mucha comme un maître de l’affiche publicitaire. Ce succès lui permet de signer un contrat d’exclusivité avec Sarah Bernhardt, représentant ainsi un tournant décisif dans sa carrière. En plus de ses affiches théâtrales, Mucha produit des publicités pour diverses marques. Il met en avant la figure féminine comme symbole de vente.
Le pop-art : une nouvelle esthétique publicitaire
Le Pop Art, né dans les années 50 et 60, révolutionne le lien entre l’art et la publicité durant une période de consommation de masse. Par exemple Andy Warhol avec les soupes Campbell ou Coca-Cola, qu’ils transforment en véritables œuvres d’art. De même Roy Lichtenstein qui incorpore des éléments de la culture populaire, tel que les marques et les célébrités, brouillant les frontières entre art et commerce. Ce mouvement rend l’art accessible au grand public, le déplaçant des musées vers les espaces urbains. La publicité exploite rapidement le potentiel émotionnel du Pop Art pour capturer l’attention des consommateurs.
Le Pop Art ne se contente pas d’embellir la consommation en exaltant les objets du quotidien en icônes artistiques. Il incite à réfléchir sur les enjeux de la surconsommation et la manipulation publicitaire. Cette critique se double d’une valorisation esthétique des simples produits, soulignant leur impact sur notre identité et nos désirs. Le Pop Art a ouvert la voie à une nouvelle ère où l’art et la publicité s’enchevêtrent. Il a façonné notre culture et notre perception de la beauté, tout en transformant les publicités en éléments culturels essentiels.
Les valeurs des marques et la valeur de l’art
La publicité, conçue pour valoriser et vendre des produits, a historiquement utilisé l’art pour attirer l’attention du consommateur. Dès le 19ème siècle, comme en témoignent les affiches de Toulouse-Lautrec pour le Moulin Rouge, l’art a été mobilisé pour établir des liens émotionnels et culturels. Les marques s’enrichissent ainsi des valeurs véhiculées par les œuvres utilisées ou détournées. Ainsi, l’association du nom de Picasso à un modèle de voiture de la marque Citroën. Cet accord passé avec les ayant-droits de l’artiste rehausse l’image de la marque lui associant la notion d’innovation.
À l’identique
La publicité déploie l’art de multiples façons pour capter l’intérêt et transmettre des messages. Avec par exemple le détournement à l’identique. La marque Chambourcy illustre ceci en reprenant « La Laitière » de Vermeer pour communiquer ses valeurs. De même manpower acquérant noblesse et modernité en réutilisant « l’Homme de Vitruve » de Léonard de Vinci.
À la manière de…
Viens également le détournement « à la manière de ». Dans ce registre Magritte a inspiré plus d’une publicité avec son univers décalé. La marque Siemens s’inspire du tableau de Magritte « Ceci n’est pas une pipe » pour promouvoir un téléphone. De leur côté, Absolut ou encore Éminence reprennent les codes du tableau « Le conquérant » de 1926.
Dans le domaine de la sculpture, citons l’association emblématique de la Statue de la Liberté avec la marque Levi’s dans la campagne « Art gallery » en 1973. Nous pouvons ainsi voir comment une paire de jean’s devient synonyme de liberté, de possibilité de mouvement sans limite. Ce vêtement intègre alors des valeurs américaines. La marque n’en reste pas là, elle habille aussi le David de Michel-Ange à plusieurs reprises. Certains veulent faire parler d’eux, ainsi une marque américaine d’armes à feu utilise un photomontage du David, fusil entre les mains, avec la mention « un chef d’œuvre ». Outré, l’état italien a demandé le retrait de cette affiche. Même le BHV à paris y est allé de son détournement en 2008. Vous pouvez voir les différentes affiches en cliquant ici.
L’artketing
Dans le marketing contemporain, l’art publicitaire s’impose, en particulier sur les réseaux sociaux, où la créativité visuelle est primordiale. À Paris, les vitrines des magasins deviennent des espaces d’expression artistique, avec des collaborations durables entre marques et artistes. Des marques comme Louis Vuitton s’associent à des artistes pour revitaliser leur image, transformant les campagnes publicitaires en œuvres mémorables qui mêlent esthétique et message commercial.
La controverse Kusama/Vuitton à Paris
Les partenariats entre marques de luxe comme Gucci, Prada, Louis Vuitton et certains artistes illustrent comment mode et art peuvent influencer les perceptions. Ces collaborations artistiques montrent comment les marques utilisent l’art afin de façonner leur image allant parfois jusqu’au détournement. La controverse récente autour d’une installation à Paris de Yayoi Kusama financée par Louis Vuitton le montre.
L’artiste érige une statue de 15 mètres de haut devant le magasin La Samaritaine, détenu par le groupe LVMH. L’œuvre finale diffère du projet : un sac à mains portant le logo de la marque est présent. Le logo de la marque apparaît sur l’œuvre sans l’autorisation de la ville. Les élus dénoncent l’utilisation de l’art à des fins de publicités et font retirer le logo de la marque. Cela remet en question l’authenticité de l’art et souligne la volonté d’influence des marques sur le public.
Ainsi, à travers la publicité et les stratégies marketing, la propagande apparaît comme un outil majeur du capitalisme, renforçant les hiérarchies sociales et compliquant toute remise en question des structures de pouvoir établies.
L’art, la propagande et la politique
Propagande et art, quelle différence ?
La distinction entre la propagande et l’art réside principalement dans l’intention derrière chaque création. L’art cherche à inspirer réflexion et changement intellectuel, tandis que la propagande, tout comme la publicité, vise à influencer sans encourager la pensée critique. La propagande façonne les perceptions et les comportements sans susciter un véritable questionnement. Un enjeu reste à déterminer : comment ces œuvres passeront d’outils de persuasion à expressions artistiques significatives.
Le mont Rushmore : une œuvre emblématique sombre
Le mont Rushmore, un monument emblématique des États-Unis situé à Keystone dans le Dakota du Sud, représente les présidents George Washington, Thomas Jefferson, Theodore Roosevelt et Abraham Lincoln. Sculptées entre 1927 et 1941, ces figures de 18 mètres attirent chaque année plus de deux millions de visiteurs. Cependant, le site est controversé. Il repose sur un territoire sacré pour les tribus Amérindiennes. De plus l’artiste Gutzon Borglum qui a réalisé ce monument est connu pour ses liens avec le Ku Klux Klan.
Conçu pour attirer le tourisme et célébrer les 150 ans de l’histoire des États-Unis, le monument véhicule une image de domination blanche sur les autochtones, occultant ainsi les événements antérieurs. Son style monumental rappelle la propagande soviétique, signifiant une glorification simplifiée et immédiate.
En diffusant largement les images du mont Rushmore dans la culture populaire, le projet vise à centrer l’attention sur un récit favorable à l’ordre en place tout en négligeant les conflits historiques. La question se pose quand à l’inhibition de la réflexion critique sur son véritable contexte. En cela on se rapproche plus d’un contexte de propagande, donnant un point de vue unique et arbitraire, que d’un contexte artistique qui donnerait matière à réflexion.
Inde : une statue de l’unité à visée politique
La Statue de l’Unité réalisé par le sculpteur indien Ram V. Sutar, située en Inde fait environ deux fois la taille de la Statue de la Liberté. Bien qu’elle rende hommage à Sarda, elle soulève des questions sur l’équilibre entre la célébration de figures historiques et la réponse aux défis sociaux actuels. Elle interroge les priorités gouvernementales et montre comment la propagande peut façonner la perception du passé pour servir des intérêts politiques contemporains.
L’art anti-propagande pour résister face à l’oppression
Santiago Sierra contre le capitalisme
Santiago Sierra, né à Madrid en 1966 et vivant au Mexique depuis 1998, est un artiste espagnol. Depuis les années 1990, Santiago Sierra s’engage dans une exploration de la dynamique du travail salarié et des rapports humains à l’ère du capitalisme.
Tatoués pour 30 dollars
En décembre 1999, à La Havane, l’artiste présente sa performance provocatrice intitulée « Linea de 250 cm tatuada sobre 6 personas remuneradas ». Pour cette œuvre, six jeunes hommes se laissent tatouer une ligne horizontale sur le dos pour la somme de 30 dollars chacun. Cette action va au-delà d’une simple performance artistique. Elle met en évidence l’exploitation et la marchandisation des corps dans un contexte économique souvent injuste.
En agissant ainsi, Sierra critique la manière dont l’art est souvent instrumentalisé. Il soulève également des questions profondes sur la valeur de la vie humaine dans un système capitaliste où les individus sont fréquemment réduits à des chiffres.
Qui regarde, qui travaille
En 2001, l’artiste présente à Zurich « Forma de 600x57x52 cm construida para ser mantenida en perpendicular a una pared ». Il a conçut un objet mesurant 600 x 57 x 52 cm pour être maintenu à l’horizontale contre un mur. Une des extrémités de l’objet était soutenue par deux personnes, des exilés politiques. Ces derniers faisaient partie d’une équipe de 4 et ont reçu comme rémunération 20 francs suisses de l’heure pendant le vernissage de l’exposition.
En 2010, l’artiste réitère à la Galerie d’Art Moderne de Brisbane. Il présente « 7 formas de 60 x 60 x 600 cm construidas para ser sostenidas en perpendicular a la pared ». Cette fois il s’agit 28 personnes provenant d’une agence locale de travail temporaire, maintiennent 7 formes perpendiculairement à un mur. Il divise alors la galerie en ceux qui travaillent et ceux qui regardent.
Cette démarche met en lumière l’arbitraire des conditions de travail et l’inégalité qui prévaut dans le système économique actuel.
Un « auteur absent » pour laisser la place
L’art de Santiago Sierra n’est pas seulement une critique des structures de pouvoir et d’exploitation. C’est aussi un acte de rébellion contre l’indifférence envers les voix marginalisées. En prenant pour sujets des travailleurs, souvent des immigrants en situation irrégulière, il transforme ces personnes, traditionnellement invisibles, en acteurs de leur propre narration. L’implication de personnes marginalisées expose les tensions sociales et économiques qui battent sous la surface de la société.
Sa documentation photographique, souvent en noir et blanc, devient un outil de résistance. Il souligne l’injustice et l’absence de reconnaissance des individus. Par ce biais, il interroge non seulement l’esthétique de l’art, mais aussi sa capacité à témoigner des luttes sociales. En se positionnant en tant « qu’auteur absent », il remet en cause les conventions de l’art performatif traditionnel, effaçant sa présence pour laisser la place à ceux qui luttent contre les injustices.
Ai Weiwei face à la propagande chinoise
Ai Weiwei métamorphose les musées et galeries en mémoriaux éphémères dédiés aux victimes de régimes autoritaires ou corrompus. En 2008, un terrible séisme provoque la destruction dans la province du Sichuan. Près de 5000 enfants décèdent. Cette catastrophe est le résultat de la corruption des entrepreneurs et des représentants locaux. Ces derniers ont falsifié l’utilisation des fonds destinés à garantir la sécurité des bâtiments face aux séismes. Les parents des enfants disparus, souvent muselés par des menaces et des pots-de-vin, ont vu les autorités placer la responsabilité de l’effondrement uniquement sur la puissance du tremblement de terre.
Contre le silence gouvernemental
En mai 2009, Ai Weiwei critique fermement les cérémonies officielles, arguant que la propagande gouvernementale ne pouvait effacer la mémoire des survivants. Architecte, il dénonce les écoles bâties sans armature d’acier, les qualifiant de « constructions de tofu ». Il crée « Remembering », un monument éphémère à Munich en hommage à ces écoliers. Pour cela il aligne 9000 sacs d’école sur une distance de 100 mètres formant la phrase : « Elle vécut heureuse jusqu’à 8 ans ». Il publie les noms des enfants sur son blog. L’artiste subi des représailles : censure, fermeture de son blog, arrestation, interdiction de sortie du territoire. L’artiste créera « SACRED » en 2013 afin d’illustrer cette période d’incarcération. Il présente plusieurs scènes de vie, encadré par des gardes, le tout vu par des lucarnes.
La révélation de la vérité
L’œuvre « Straight » et réalisée entre 2008 et 2012, utilise plus de 100 tonnes de barres d’acier récupérées secrètement des débris du tremblement de terre. Chaque barre a été soigneusement redressée et réorganisée, le tout évoquant une fracture. Cela invite le spectateur à réfléchir sur leur rôle initial en tant que soutien de structures qui ont échoué, entraînant des pertes humaines profondes. Accompagnée des noms des enfants disparus et d’une vidéo du processus de création, l’œuvre évoque des cercueils ouverts. Elle est un monument poignant en hommage aux plus de 5 000 victimes, mettant en lumière la négligence des autorités. Ai Weiwei voit cette réalisation comme un « souvenir » et une interrogation sur la vérité des événements.
En 2013, le gouvernement mandate l’urbaniste Cai Yongjie pour concevoir un monument national à Wenchuan pour commémorer cet événement tragique. Néanmoins, cette initiative n’aborde toujours pas les véritables raisons derrière le nombre élevé de victimes.
Le double visage de l’art
La sculpture, à travers les âges et les mouvements artistiques, s’est révélée être un instrument à la fois de beauté et de propagande. Dans le cadre du surréalisme, elle a tout d’abord exprimé un désir de subversion, de questionnement et de dénonciation des normes sociétales. Les artistes comme André Breton ont transformé l’inconscient en outil de résistance contre une société oppressive. En s’opposant à des expositions coloniales et en célébrant des œuvres déroutantes, le surréalisme a engagé le spectateur dans une réflexion profonde sur son temps.
Cependant, la relation entre art et propagande se complique davantage lorsque l’on explore l’impact du marketing moderne. Avec des figures telles qu’Edward Bernays, la manipulation des émotions est devenue une arme redoutable au service du capitalisme, engendrant un débat crucial sur l’éthique de la publicité. Les méthodes de captation de l’attention, les références culturelles et l’appel aux émotions soulignent la manière dont l’art peut se transformer en instrument de persuasion, contribuant à un système économique qui peut parfois prôner des valeurs individualistes au détriment de l’engagement civique.
La dualité de la sculpture en tant qu’art et outil de propagande est particulièrement pertinente dans les créations contemporaines d’artistes comme Ai Weiwei et Santiago Sierra. Ces artistes utilisent leur art pour exposer des injustices et des vérités souvent cachées. De cette manière, le dialogue autour de l’art devient fondamental. Il interroge non seulement les intentions de l’artiste mais aussi le rôle que la société lui attribue. En définitive, la sculpture, à travers ses diverses manifestations, transcende son statut d’ornement pour devenir une voix de contestation, tout en conservant sa capacité potentielle à influencer. Ce double aspect appelle à une vigilance critique vis-à-vis de ses usages dans un monde de plus en plus conditionné par la consommation et l’image.