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Un artiste, une anecdote sur Franz Xaver Messerschmidt l’artiste entre génie incompris et déséquilibre mental.
Franz Xaver Messerschmidt vient au monde en 1736 en Bavière. Devenu orphelin à l’âge de dix ans, ses deux oncles l’initient à la sculpture, dont Johann Baptist Straub, sculpteur à la cour à Munich. À dix-neuf ans, Messerschmidt quitte l’Allemagne pour s’installer à Vienne, fort de cette solide formation familiale.
En 1755, il rejoint l’Académie des beaux-arts de Vienne, où ses compétences en tant que sculpteur réaliste attirent l’attention. Parallèlement, il travaille à l’Arsenal, où il acquiert une connaissance approfondie des métaux, qu’il utilise ensuite dans ses créations. Messerschmidt passe quatre ans en Italie, notamment à Rome pour approfondir sa compréhension de l’art antique. À son retour à Vienne, il crée de nombreux portraits marqués par un équilibre et une statique remarquables.
En 1760 alors qu’il n’a que 24 ans, Franz Xaver Messerschmidt réalise un buste de l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche. Touché par la profonde religiosité de l’impératrice, l’artiste y démontre une maîtrise technique impressionnante. Il équilibre subtilement mouvement et stabilité par des drapés élaborés et fluides. Cette œuvre lui ouvre les portes des commandes royales exclusives. Il peut ainsi figurer parmi les personnalités influentes de la vie viennoise.
Nommé professeur adjoint à l’Académie royale de Vienne en 1769, sa réputation est croissante. Messerschmidt mène alors une carrière d’artiste brillante. Il réalise des portraits de nombreuses figures éminentes de la société viennoise. Franz Xaver crée des bustes de Marie-Antoinette, la fille de Marie-Thérèse, ainsi que plusieurs œuvres religieuses. À cette époque, Messerschmidt est déjà perçu comme un artiste néoclassique très prometteur.
Mais au début des années 1770 les commandes diminuent. Messerschmidt se voit refuser le poste de professeur titulaire, il doit alors affronter des difficultés financières. Il a acquit la réputation d’être un individu étrange, potentiellement sujet à des hallucinations. Renvoyé de l’Académie des beaux-arts, l’artiste doit quitter Vienne. C’est dans ce contexte qu’il crée ses premières têtes. Une probable réponse à son instabilité mentale. Cependant, il continue de produire des œuvres remarquables. Par exemple le buste du Prince Joseph Wenzel de Liechtenstein, réalisé entre 1773 et 1774.
Sa situation l’oblige à partir en 1775 pour Wiesensteig, sa ville natale. Ne trouvant pas de place dans la maison familiale, Franz Xaver s’installe alors dans une cabane. Il y continue la création de ses têtes. À la fin de l’année, une promesse de commandes et une meilleure situation le mènent à Munich, mais cet espoir s’avère de courte durée. En 1777, Messerschmidt rejoint son frère Johann Adam à Presbourg, l’actuelle Bratislava. En 1780, il devient propriétaire d’une maison dans le quartier de Zuckermandel. Recevant des commandes de la haute société de Presbourg et Vienne, il retrouve une certaine stabilité. Ses œuvres incluent divers portraits du duc Albert de Saxe-Teschen, gouverneur de Hongrie.
Poursuivant son travail sur ses têtes, l’artiste en créera 69. Ces bustes en albâtre ou en métal se distinguent par des visages aux expressions exagérément contractées. Ils offrent un mélange de caricature et de réalisme troublant. Franz Xaver Messerschmidt succombe d’une maladie brève le 19 août 1783, à 47 ans, probablement une pneumonie. Il repose au cimetière Saint-Nicolas, désormais abandonné, situé près du château de Presbourg. Après la mort de l’artiste, son frère également sculpteur, vend à un cuisinier 49 des 69 têtes trouvées dans l’atelier.
Une exposition à Vienne en 1793 expose ces œuvres captivantes. Les curieux viennent observer les bustes expressifs d’un sculpteur réputé pour sa folie. Le nom de « Têtes de caractère » a été donné par l’auteur du livret de l’exposition. Parmi les pièces notables de cette série figurent « L’Homme qui bâille », « L’Homme qui pleurniche », « L’Homme tracassé » et « Le Tsigane exaspéré ». Ces noms furent également inventés lors de cette exposition.
En 1839, le journal « Der Adler » leur consacre un article, illustré par une lithographie représentant tous les bustes. Les têtes restent en Autriche jusqu’à leur dispersion en 1889. Lorsqu’elles font leur apparition dans la Sécession Viennoise, elles sont accueillies avec enthousiasme et captivent les pionniers de la psychanalyse. Le mystère du comportement de Messerschmidt reste entier. Pourquoi un artiste apprécié pour son style réaliste par la haute société des Lumières s’est lancé dans une telle entreprise ?
En 1932 le psychiatre et historien d’art Ernst Kris découvre lors de ses recherches, le témoignage de Friedrich Nicolai, un homme de lettres berlinois ayant visité l’artiste à Presbourg. Selon Kris, Messerschmidt souffrait de schizophrénie. Nicolai relate que l’artiste était en proie à des hallucinations, se sentant tourmenté par « l’esprit des proportions » qui enviait son talent. Pour lutter contre sa folie, il se pinçait les cuisses devant le miroir jusqu’à grimacer de douleur, une méthode qu’il utilisait également pour créer ses célèbres têtes.
Certains remettent en question le diagnostic d’Ernst Kris. Martial Guédron, dans son livre « L’Art de la Grimace », affirme qu’il serait simpliste de considérer Messerschmidt comme un artiste excentrique et solitaire. En effet de nombreux visiteurs fréquentaient sa résidence à Zuckermandel.
En contemplant ces sculptures étonnantes, le spectateur est à la fois fasciné et repoussé, invité à reproduire lui-même ces expressions faciales extrêmes. Personne n’a su comme lui figer dans le métal les excès des émotions et la mobilité des traits. Ces visages tendus et grotesques, figés dans une matière si rigide, transmettent le malaise des tourments de l’âme.
De nos jours, ses célèbres têtes d’expression s’exposent dans les plus prestigieux musées du monde, comme le Louvre, le Metropolitan Museum of Art à New York, et le musée du Belvédère à Vienne. Messerschmidt est souvent perçu comme un sculpteur moderne, ayant anticipé son époque de deux siècles. Il préfigure en effet le principe de la série en représentant le même visage animé par des émotions différentes. L’énigme de Messerschmidt subsiste, entre génie incompris et déséquilibre mental.
Au revoir et à bientôt pour une nouvelle anecdote !