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Art primitif : un passé colonial qui a inspiré l’art occidental

L’art primitif : un pont entre l’histoire de l’art et l’anthropologie.

Les arts primitifs venus d’Afrique jouent un rôle essentiel dans la culture et le patrimoine de leur pays respectifs. Ils ont également un potentiel inspirant et influant sur le monde moderne. Les idées de Léopold Sédar Senghor et Malraux sur la culture et l’art sont complémentaires. Ils mettent en évidence le rôle de l’art africain en tant qu’expression de la liberté. Le discours de Malraux lors du Festival mondial des arts nègres à Dakar en 1966 est un exemple de l’intérêt pour l’art africain et sa reconnaissance de son importance culturelle. André Malraux a passé sa vie à défendre les valeurs de liberté et de dignité. Il s’est opposé au colonialisme, au fascisme, et a soutenu la lutte pour l’indépendance des pays africains. Il a également joué un rôle essentiel dans la promotion des arts africains, en particulier la sculpture.

La relation entre la culture, l’art et la liberté est également mise en avant, soulignant que l’art africain peut contribuer à restaurer la dignité africaine. Les objets traditionnels africains ont profondément inspirés des artistes tels que Picasso, Vlaminck, Derain et Braque. Ils ont joué un rôle majeur dans leur reconnaissance artistique. Il est important de noter que l’art africain a influencé le mouvement cubiste. Il a ainsi marqué le début d’une nouvelle ère dans l’art français et européen au 20ème siècle.

L’art africain privilégie l’expression plutôt que la représentation fidèle de la réalité. En cela il partage avec le cubisme une opposition à l’illusion de la nature. Picasso et Malraux se sont interrogés sur le rôle du masque africain dans l’art. Leur réflexion a abouti à la création du livre « La Tête d’Obsidienne ». Malraux considère l’art africain comme un symbole de liberté et souligne également l’aspect magique et religieux des sculptures africaines.

Les arts extra-occidentaux à l’honneur

Au 19ème siècle, la notion d’exotisme apparait. Elle décrit ainsi l’intérêt des Européens envers les cultures étrangères, y compris celles des peuples primitifs. Au début du 20ème siècle, les peintres cubistes ont découvert « l’art nègre », ce qui a grandement influencé l’art moderne occidental. Des termes comme « primitifs », « sauvages », « magiques », « art nègre », « art tribal » et « arts premiers » ont décrit ces arts. Certains de ces termes, encore utilisés aujourd’hui, décrivent les collections des musées, comme le musée du Quai Branly.

Les cabinets de curiosités : un lieu de rencontre

Depuis le 15ème siècle, la rencontre entre les artistes européens et les objets extra-occidentaux, tels que les arts primitifs d’Afrique et d’Amérique, a contribué au prestige des collectionneurs. Et ceci en particulier dans les premiers cabinets de curiosités européens.

Salière en ivoire 16e siècle – style Edo d’Owo Musée du quai Branly – Jacques Chirac_photo Yoacojean
Salière en ivoire du 16ème siècle – Musée du quai Branly – Jacques Chirac – photo Yoacojean


« La Salière », une sculpture en ivoire datant du 16ème siècle, est exposée au musée du Quai Branly. Elle représente des guerriers portugais et provient d’un cabinet de curiosités belge. Les conquêtes coloniales ont également influencé la façon dont on perçoit la différence. Cela a conduit à la création du musée des Colonies à Paris.

Le primitivisme

Le mouvement artistique appelé primitivisme, s’est développé de 1890 à 1920. Il a fasciné des artistes comme Gauguin, Picasso, Matisse et Brancusi. Ces artistes ont été influencés par la simplicité formelle, les couleurs vives et l’expression libre de ces arts non occidentaux. Le terme primitivisme s’applique de même aux œuvres réalisées par des artistes autodidactes tels que le Douanier Rousseau.

L’art Brut

La reconnaissance de l’art brut est liée au développement de la psychanalyse au début du 20ème siècle. Les psychiatres étudiaient les dessins des patients mentaux, les considérant comme des moyens d’explorer l’inconscient. Hans Prinzhorn, psychiatre allemand du début du 20ème siècle, a établi un lien entre les dessins d’enfants, les « primitifs » et les artistes modernes. Il étudia et constitua une collection de ce que l’on appelait alors « l’art des fous ». L’art brut se caractérise donc par sa relation avec la folie et l’inconscient. Il s’inscrit également dans un contexte de remise en question de l’art, de naissance des avant-gardes et de multiplication et de reproduction des images. Il est également lié à l’intérêt pour l’art populaire et la notion de génie. Des artistes comme Paul Klee, Max Ernst et Jean Dubuffet furent inspirés par ces travaux.

Dubuffet, artiste phare de l’art brut, s’éloigne de l’art culturel en constituant une collection d’art brut, d’art des fous. Il souhaitait l’installer à Paris, c’est finalement la ville de Lausanne en Suisse qui l’accueillera. Son propre art y a puisé beaucoup. Découvrez cet artiste avec le podcast « Dubuffet, un art brut accessible à tous ».

Une source d’inspiration pour les surréalistes

Dans le domaine académique, la beauté est souvent associée à l’art grec et à ses critères d’ordre et d’harmonie. Toutefois, les artistes modernes cherchent à innover en rompant avec les traditions passées. L’exotisme et l’art primitif deviennent des sources d’inspiration. Des objets africains et des statuettes du Congo influencent des artistes tels que Gauguin.

En Allemagne, les membres de Die Brücke sont fascinés par l’art primitif. Il reflète leur désir de se rebeller contre la société bourgeoise et de s’échapper de l’aliénation de la civilisation urbaine. Il y a une tentative de rapprochement entre l’art occidental et l’art extra-occidental, notamment africain. Le but étant de remettre en question les conventions artistiques établies. En 1917 la galerie Dada à Zurich expose des sculptures africaines aux côtés d’œuvres dadaïstes et de dessins d’enfants.

Les surréalistes explorent également le concept d’analogie, en rapprochant des cultures lointaines pour nourrir leur recherche artistique. Ce questionnement de l’art occidental et la valorisation de l’art extra-occidental contribuent à l’émergence de l’anticolonialisme surréaliste, rejetant ainsi les traditions rigides de l’art occidental. L’association d’objets de Nouvelle-Irlande ou de Colombie-Britannique à des œuvres surréalistes crée des liens entre différentes réalités. Les surréalistes ont été fascinés par ces objets exotiques, qui ont suscité chez eux une quête de l’inédit. Après la Seconde Guerre mondiale, leur perception des arts indigènes a perdu de son romantisme. Elle est toutefois restée engagée et anticolonialiste. Les musées ont intégré des objets surréalistes dans leurs collections, soulignant ainsi l’importance du mouvement dans la reconnaissance des arts premiers.

Bronzes du Royaume du Benin - Photo par Mariusz Matuszewski
Bronzes du Royaume du Benin – Photo par Mariusz Matuszewski

Restitution du patrimoine africain : Enjeux et défis dans le débat contemporain

La question des restitutions est complexe et nécessite un dialogue constructif pour trouver des solutions équilibrées. La préservation et la mise en valeur du patrimoine en Afrique nécessite des actions concrètes. Le discours du Président Macron à Ouagadougou en novembre 2017 a relancé le débat sur les restitutions du patrimoine africain en France. Les propositions du rapport de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy ont divisé les opinions. Utilisées comme références par les pays demandeurs, elles ont porté sur des objets pillés ou acquis lors de la période coloniale.

Les défis de l’élaboration de critères pour des restitutions incontestables

La France doit engager des discussions avec les pays concernés pour trouver des solutions de restitution appropriées. Cela implique l’élaboration de critères transparents pour déterminer quelles œuvres doivent être restituées et comment. Il est également important de mettre fin à l’exposition de restes humains sans justification scientifique. Les musées doivent prendre en compte ces demandes éthiques de la part du public et travailler avec les pays d’origine pour trouver des solutions. D’autres pays européens ont déjà pris des mesures en matière de restitution. La France doit ainsi prendre des mesures concrètes. Un dialogue sérieux avec les pays concernés est essentiel pour parvenir à des solutions équitables et justes.

Les bouleversements des principes clés de nos musées

Les restitutions de biens culturels remettent en question le principe d’inaliénabilité des collections. Les craintes sont que ces demandes de restitution puissent diminuer les dons. Des dons importants pour enrichir les collections publiques et encouragés par la loi en France. D’autres pays ont un cadre juridique moins sécurisant.

Vocation universelle

Ces demandes de restitution affectent la cohérence des collections des musées. Cela remet en question leur mission de recherche et de dialogue interculturel. Elles contestent également la légitimité des musées à vocation universelle. Le gouvernement a choisi d’utiliser des conventions de dépôt avec une validation ultérieure par le Parlement pour le retour des biens culturels réclamés. Cela a été fait déjà plusieurs fois, ce qui empêche tout débat sur la pertinence de ces restitutions. Le Parlement se retrouve ainsi simplement à entériner les décisions déjà prises par l’exécutif, ne respectant pas la séparation des pouvoirs.

Travail scientifique

Ces restitutions créent des précédents sans consensus préalable. Cela privant ainsi la communauté nationale de participer à ces gestes et empêchant les musées de poursuivre leur travail scientifique. Les restitutions devraient plutôt permettre des échanges scientifiques et culturels pour promouvoir la connaissance et la compréhension mutuelle. Par exemple, la restitution des têtes maories a favorisé les échanges entre institutions françaises et néo-zélandaises, ainsi qu’une recherche commune sur la perception du public de la restitution des restes humains indigènes.

La circulation des œuvres

Le débat sur les restitutions d’œuvres d’art africaines met en lumière la nécessité d’explorer d’autres options pour améliorer la circulation des œuvres. Le ministère de la Culture sensibilise les musées à retracer l’origine des biens culturels et organise des discussions pour documenter les collections et mieux comprendre les demandes de restitution. Il est essentiel d’impliquer des scientifiques des pays demandeurs pour affiner les demandes et éviter les confusions.

Le manque d’organisation et d’ambition dans la gestion des biens culturels spoliés est déploré, et il est souligné l’importance d’investir les ressources nécessaires pour éviter de reproduire cette situation avec des collections extra-occidentales. Les musées font face à des défis pour identifier les biens susceptibles de faire l’objet de réclamations sans compromettre leurs missions. Enfin, le débat sur les restitutions remet en question la vision universaliste des musées, qui favorise la promotion de l’art universel et du dialogue interculturel.

Objets ambassadeurs : l’exemple kanak

L’idée de « l’objet ambassadeur » consiste à considérer les objets kanaks présents dans les musées internationaux comme des représentants de la culture kanak. Au lieu de demander le retour de ces objets en Nouvelle-Calédonie, ils circulent entre les musées, mettant ainsi en valeur les aspects immatériels de la culture kanak. Cette approche privilégie la diffusion culturelle plutôt que la propriété des objets.

A lire : « Les bambous gravés, objets ambassadeurs de la culture kanak » par Roberta Colombo Dougoud dans Journal de la Société des Océanistes


Le débat sur les restitutions d’œuvres d’art africaines met en évidence la nécessité de trouver d’autres solutions pour faciliter la circulation des œuvres. Les musées doivent travailler avec les pays demandeurs pour affiner les demandes de restitution et éviter les confusions. Il est essentiel d’investir des ressources dans la gestion des biens culturels spoliés et de prendre des mesures pour améliorer la transparence dans la provenance des œuvres. Les musées doivent mettre en place le partage des collections et améliorer leur accessibilité grâce à la numérisation. L’accès physique aux œuvres est d’importance pour les populations des pays d’origine. Il s’avère nécessaire de trouver un équilibre entre préservation des collections et restitution des biens culturels spoliés.

L’art primitif à la croisée de l’histoire de l’art et de l’anthropologie

La pratique consistant à désigner les pièces d’art africaines par leur ethnie ou leur région plutôt que par le nom de l’artiste, est perçu comme une forme de déshumanisation. Le professeur Mamadou Diawara soulève la question de l’origine souvent omise des œuvres d’art africaines. Il mentionne également que même les artistes africains plus récents ne sont souvent pas crédités de leurs propres créations. L’anthropologue italien Marco Aime critique le manque de respect des spécialistes européens envers les traditions artistiques africaines.

Le spécialiste souligne le fait de la reconnaissance de l’art africain et océanien en tant qu’art que lors d’un transfert en Occident. Il estime que seul le regard sélectif de l’observateur occidental le transforme en œuvre d’art, et que les catégories préétablies de l’Occident déterminent sa valeur. Il déplore également que l’artiste soit anonyme et dépersonnalisé, représentant uniquement des idées collectives. Selon lui, cela constitue une première trahison de la culture africaine.

L’intégration d’objets non occidentaux dans le domaine de l’art entraîne une mise à l’écart de certains de ces objets, relégués à la sphère de l’anthropologie. Cette dynamique soulève des questions relatives aux frontières entre l’histoire de l’art et l’anthropologie, ainsi qu’à la manière dont la redéfinition de l’art aligne les objets non occidentaux sur les critères de beauté occidentaux. Ces objets reçoivent la désignation d’« arts méconnus », « arts lointains » ou « arts premiers ». On peut citer l’exemple de la recherche de Fénéon sur l’inclusion des arts non occidentaux au musée du Louvre, qui a suscité des réactions variées. Certains y voient une opportunité de briser les préjugés et de retracer les origines de l’art, tandis que d’autres considèrent cela comme une explication nécessaire. Les notions telles que « art primitif » continuent de susciter des discussions en anthropologie.

L’émergence des « arts premiers » remet en question la hiérarchie traditionnelle de l’art et la notion d’une vérité artistique unique. Les objets non occidentaux sont considérés comme des chefs-d’œuvre et peuvent susciter des émotions esthétiques chez les spectateurs. Cette approche modifie la perception de l’art et des musées comme le quai Branly tentent de dépasser le conflit entre l’histoire de l’art et l’anthropologie en mettant en avant les catégories d’arts et de civilisations. Cependant, la réussite de cette démarche est encore incertaine.

En conclusion, l’inclusion des objets non occidentaux dans le domaine de l’art entraîne des répercussions sur leur perception et leur classification. Cette inclusion se fait souvent au détriment d’autres objets, relégués au statut d’objets anthropologiques. Malgré les débats et les efforts pour valoriser ces arts méconnus, leurs idées n’ont pas été largement acceptées à l’époque. Cependant, ces débats ont favorisé une compréhension plus inclusive de la créativité humaine. La question de l’inclusion de ces objets dans les musées demeure pertinente et continue de susciter des discussions. L’ouverture d’esprit s’avère essentielle et la compréhension des cultures non occidentales afin de pouvoir pleinement reconnaître la dimension artistique de leurs objets.


Pour aller plus loin : Des « arts méconnus » aux « arts premiers » : inclusions et exclusions en anthropologie et en histoire de l’art

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