You are currently viewing Comment l’argile façonne l’art sacré, une histoire de la sculpture

Comment l’argile façonne l’art sacré, une histoire de la sculpture

L’utilisation de l’argile remonte à l’Antiquité et a été largement employée par les humains dans diverses activités. Elle a servi pour la poterie, la fabrication de briques, de tablettes d’écriture… Ce matériau minéral a joué un rôle important dans la représentation de l’homme, notamment son lien avec le sacré, sa création et également en relation avec la transformation du corps après la mort qui « retourne à la terre ». L’art sacré avec la sculpture ouvre une fenêtre sur la spiritualité et les croyances religieuses et peut être un support pour approfondir la relation avec la foi. Pour le non croyant, c’est à dire de confession différente ou sans confession, cela permet de mieux appréhender des traditions et pratiques religieuses autres.

Différentes croix et calvaires avec leurs Christ sculptés jalonnent les routes de France
Différentes croix et calvaires avec leurs Christ sculptés jalonnent les routes de France

Les calvaires et autres croix

Les symboles de foi quand à eux sont tout autour de nous. En France les Christ sont dans les églises, mais une fois sorti des frontières des villes on trouve des croix, des calvaires, avec une sculpture représentant le Christ crucifié ou glorieux ou la Vierge protectrice et bienveillante. Placés aux carrefours de campagne, ils repoussaient les mauvaises influences et les effets maléfiques. Ils servaient également de points de repères lors de voyages qui pouvaient tourner à l’aventure. Ces oeuvres remplissaient plusieurs rôle du poteau indicateur au signalement de l’approche d’un croisement de routes. Durant la Révolution Française, de nombreuses croix furent détruites. Puis reconstruites dans la seconde moitié du 19ème siècle, entre 1814 et 1906, lors des missions de prédication et de reconquête de l’église.


L‘homme et la terre glaise

Explorons l’origine de l’homme à partir de la terre en se référant à la Genèse, aux mythes antiques et à l’étymologie du mot « homme ». Ce mot provient du latin « homo » qui lui-même dérive du terme indo-européen « ghem-, ghom-, ghm- », désignant la terre. Un autre terme provenant de cette même racine est « humus », la terre.

Dans différentes traditions religieuses et mythologies, il est dit que les êtres humains ont été créés à partir d’argile ou de matière inanimée. Par exemple, selon le Coran, Dieu aurait créé l’homme à partir d’argile. Dans la Bible, en plus d’avoir été créé à partir de glaise, l’homme retourne à la terre à la fin de sa vie. En hébreu, le mot « adamah » désignant à la fois l’homme et Adam est lié à la terre. Dans les mythologies sumérienne et égyptienne, les dieux Enki, Enlil et Khnoum utilisent également de l’argile pour créer les humains.

Dans la mythologie grecque, Prométhée façonne les hommes avec de l’argile. On retrouve des histoires similaires dans la mythologie zoroastrienne avec Ahura Mazda, et dans la mythologie hindoue avec Parvati créant Ganesh. D’autres cultures, comme les Maoris, les Incas, les Yorubas, les Nordiques, les Coréens, les Chinois et les Amérindiens, ont également des récits de création où l’argile sert à donner vie aux êtres humains.

En marge de la création de l’être humain, le folklore juif parle quant à lui du « golem », une créature de forme humaine entièrement faite d’argile, mais animée dans le but de suivre des ordres.

L’art sacré

La sculpture occidentale est liée au sacré et a évolué dans son approche artistique. L’art sacré présente le divin plutôt que de le représenter, rendant visible l’invisible tout en conservant sa transcendance. Il pose la question de comment être une ouverture vers le sacré religieux sans se limiter aux émotions.

L’art chrétien incarne la vérité de l’incarnation et nécessite humilité et détachement de soi. Il témoigne de l’invisible et s’oppose à l’idolâtrie artistique. L’art sacré cherche à ouvrir un chemin vers Dieu en représentant l’invisible et en invitant à l’écoute de la Parole divine. Il transcende le temps et a pour objectif de rappeler aux croyants leurs origine divine. Mais en visant simplement la perfection, l’art sacré perd son essence. Par exemple dans les écrits bibliques il est dit que le peuple s’égare et crée une idole, le veau d’or, symbolisant une action externe. Cette œuvre « parfaite » car contenant les aspirations de cette multitude détourne le croyant de son centre. L’oeuvre ne compte pas, c’est la voie qu’elle ouvre vers le divin.

Thème récurrent dans l'art sacré : sculpture de l'Annonciation en bas relief sur la façade d'une église
Thème récurrent dans l’art sacré : sculpture de l’Annonciation en bas relief sur la façade d’une église

Un thème inspirant : l’annonciation

L’Annonciation, thème biblique, a inspiré l’art chrétien, byzantin et gothique. Les premières représentations datent du 4ème siècle. L’art religieux enseigne et utilise des techniques comme la perspective inversée. L’art byzantin est fidèle aux représentations passées, tandis que l’Occident se concentre sur la décoration des objets de piété. Giotto révolutionne l’art en imitant la nature avec des jeux d’ombres. La Renaissance apporte un art illusionniste, avec des artistes comme Botticelli qui peignent des portraits réalistes et des paysages détaillés.

La Renaissance a produit de nombreux chefs-d’œuvre d’art sacré sur ce thème, avec des artistes italiens de renom comme Michel-Ange avec la sculpture « La Pietà » ou « Moïse », des œuvres détaillées et expressives. Au 17ème siècle, ce thème devient plus intime et dépouillée de décors. Aux 19ème et 20ème siècles, l’Annonciation continue d’inspirer les artistes, à l’exception toutefois des peintres abstraits.

"Moïse" Sculpture de Michel Ange illustrant cet art sacré
« Moïse » Sculpture de Michel Ange illustrant cet art sacré

Communiquer sa foi

La foi et la création d’œuvres d’art comme la sculpture et la peinture ont une relation profonde et complexe. La création artistique est souvent un moyen d’exprimer et de communiquer sa foi. À l’image de nombreux artistes ayant créé des chefs-d’œuvres tels que Michel-Ange et sa célèbre statue de « David » à Florence. De même Léonard de Vinci et sa fresque de « La Cène » à Milan.

La foi peut avoir un impact considérable sur l’œuvre d’art créée, et vice versa. Pour beaucoup d’artistes, leur travail se nourrit de leur spiritualité. Par exemple, un artiste peut créer une sculpture de la Vierge Marie en ayant à l’esprit son amour pour la mère de Jésus. De même, un artiste peut créer une peinture représentant la crucifixion de Jésus-Christ et capturer son sacrifice ultime.

La création artistique peut également être un moyen de méditation et de prière pour les croyants. Créer une sculpture ou une peinture apaise l’esprit et peut aider à se sentir plus proche de Dieu pour un croyant lorsqu’on se penche sur un sujet religieux. Les œuvres d’art religieuses, souvent considérées comme des chefs-d’œuvre offrent également à ceux qui ne partagent pas les mêmes croyances une fenêtre sur des traditions religieuses différentes.

La porte du Paradis à Florence

La « Porte du Paradis »

La « Porte du Paradis », une sculpture en bronze de Lorenzo Ghiberti, créée pour la porte du baptistère de Florence en Italie, est une œuvre artistique exceptionnelle qui représente la foi. Construite au 15ème siècle, elle est étonnamment complexe et regorge de représentations en relief de scènes bibliques. La sculpture est composée de dix panneaux en bronze, chacun représentant une scène différente. Les panneaux, mesurant 5,20 mètres de haut et 3 mètres de large, peuvent être considérées comme des illustrations bibliques. Les motifs en relief comprennent, entre autres, la Création du monde, la vie de Jésus-Christ, la Renaissance, et la Crucifixion. La qualité de l’œuvre, la minutie et la complexité de la sculpture en font une oeuvre particulièrement admirée. Chaos et ordre sont représentés en contraste de lumière et d’ombres. La finesse des détails dans chaque relief permet d’appréhender la sublimité des périodes de l’histoire.

L’art religieux du 20ème siècle

L’art religieux du 20ème siècle, notamment la sculpture, est souvent négligé en raison de moyen financier et esthétiques. Il est souvent peu apprécié et critiqué. Mais des personnes s’efforcent de le promouvoir et de le réhabiliter.

Le renouveau de l’art sacré en France

Après la Seconde Guerre mondiale, le père Couturier et le père Régamey ont œuvré pour promouvoir et réhabiliter l’art religieux. La sculpture y compris. L’objectif étant d’intégrer l’art moderne dans les églises endommagées par la guerre et donner ainsi du renouveau au style sulpicien. Cependant, la réforme de l’art catholique a suscité une controverse intense en France.

Des désaccords ont éclaté autour de certaines sculptures, comme celle de Germaine Richier dans la chapelle Notre-Dame-de-Toute-Gloire à Assy. Malgré les publications officielles de la Commission épiscopale de pastorale et de liturgie et du Saint Office à Rome, la controverse persiste. Cependant, certains artistes tels que Véra Sekely et Louis Chavignier ont apporté une approche nouvelle et innovante à la sculpture religieuse, inspirant les fidèles et témoignant de l’importance pour les croyants de valoriser l’art religieux dans la société contemporaine.

Le Christ de Germaine Richier

En particulier la commande du fameux « Christ d’Assy » par l’artiste Germaine Richier. Cette oeuvre provoqua une polémique lors de sa création. Bien que saluée pour sa justesse et son interprétation décharnée et profondément humaine. Mais elle fait débat et entraîne des mesures autoritaires. 8 mois après l’inauguration, l’évêque d’Annecy demandera son retrait sous la pression de Rome.
L’Église entrave avec cet acte le renouveau de l’art sacré en France.

L’artiste avait fait fusionner la croix et le corps de Jésus, soulevant des questions sur le mystère de l’incarnation. Les catholiques traditionalistes ont estimé cette sculpture blasphématoire, affectant profondément l’artiste très croyante. Malgré cela, André Malraux écrira plus tard que le Christ d’Assy est « le seul Christ moderne devant lequel quiconque peut prier ».

Finalement, la sculpture n’a retrouvé sa place dans l’église qu’après la mort de l’artiste, 10 ans plus tard. Germaine Richier fut une sculptrice renommée ayant influencé d’autres sculpteurs à son époque, mais injustement oubliée. Vous pouvez consulter cette anecdote à son sujet en cliquant sur ce lien.

Le calvaire de Véra Székely

Le calvaire de Véra Székely suscite la fureur des traditionalistes. L’oeuvre est ridiculisée et critiquée pour la maigreur extrême du Christ, le visage caché de Saint Jean qui pourtant se tourne vers Dieu et la misérable représentation de la Sainte Vierge. Les traditionalistes considèrent cela comme une insulte envers leurs croyances religieuses.

Les paroissiens ont regretté les statues d’avant-guerre et ont critiqué la représentation moderne du Christ. Remettant en question le rôle des commissions diocésaines dans la sélection des oeuvres d’art sacré. Cette polémique a entraîné le remplacement du curé et la destruction des sculptures. Étonnamment par contre, les autres formes d’art abstrait, comme les vitraux et la peinture, ont échappé à la critique et à la vindicte. Finalement, un autel vide est préféré à cette sculpture controversée.

Henry Moore et sa « Madone et l’enfant »

L’œuvre « Madonna and Child » est une sculpture créée par l’artiste britannique Henry Moore en 1944. Cette œuvre commandée par l’église St Matthew de Northampton en Angleterre, représente la Vierge Marie tenant dans ses bras l’enfant Jésus. Les formes de l’œuvre, simples, douces et massives gardent l’idée du bloc de pierre d’où elle provient. Il s’en dégage une certaine rigueur contrastant avec la posture accueillante et le regard sans jugement. Des ressentis justement recherchés par l’artiste. L’œuvre de Moore a été présentée pour la première fois en 1945 à l’exposition de la sculpture moderne à Battersea Park, et a depuis été exposée dans de nombreux musées et galeries à travers le monde.

Cette oeuvre peut s’apprécier de plusieurs manières. Pour les chrétiens, la sculpture de la Vierge Marie tenant l’enfant Jésus est un symbole important de l’amour maternel, de la protection et de la puissance de l’amour. L’oeuvre est également importante pour les non-croyants, en raison de la qualité artistique de la sculpture et de l’habileté de l’artiste à exprimer des émotions. Avec les années, les genoux de la Madone sont lustrés par les mains des visiteurs cherchant peut être à se relier à elle et s’assurer de sa présence.

En d’autres termes, la foi et la création d’oeuvres d’art sacré comme la sculpture et la peinture ont une relation complexe et fluctuante. Pour de nombreux artistes, les oeuvres créées sont une expression fondamentale d’une croyance en un pouvoir supérieur.

"L'homme qui porte la croix" sculpture de Jean Fabre
« L’homme qui porte la croix » sculpture de Jean Fabre

Questionner la foi ?

La relation entre la foi et la création artistique peut avoir certaines limites et être complexe et parfois controversée. Certaines œuvres suscitent des débats sur la liberté d’expression et le respect des croyances religieuses.

Les artistes continuent à nous offrir des perspectives uniques et variées sur la spiritualité, la vie, l’amour. Ils ont ce don de pouvoir nous exposer leur vision du monde, leurs interrogations dans un langage le plus souvent accessible mais parfois difficile et demandant un certain décryptage. Peuvent-ils alors avoir un caractère blasphématoire, offenser certaines croyances au même titre que de nous interroger sur des problèmes politique ou de société ? Nous interroger sur ce qui fait l’être humain, ses relations ?

« Piss Christ », un parfait exemple de l’art qui bouscule

Plus près de nous une oeuvre a fait grand bruit. L’œuvre intitulée « Piss Christ » crée en 1987 par l’artiste américain Andres Serrano, recevra un accueil violent. Dès sa première exposition en 1989, l’œuvre crée le scandale. La photographie montre une petite statue en plastique de Jésus-Christ plongée dans un bocal rempli d’urine et de sang de l’artiste et photographiée sous une lumière jaunâtre.

Selon l’artiste, l’oeuvre est une réflexion sur la nature de la foi et du sacré dans une société moderne et séculaire. Lui-même chrétien, il souhaite interpeller sur le pourquoi de ce personnage biblique et les détournements réalisés en son nom. Cependant, pour de nombreux chrétiens et conservateurs, l’œuvre est un blasphème. Une insulte à la religion et un manque de respect envers leurs croyances et leur foi. Certains soutiennent que l’œuvre représente la liberté artistique et d’expression ainsi que la critique de la religion. L’oeuvre continue de diviser l’opinion et de susciter le débat sur le rôle de l’artiste et de son message dans la société.

Une croix-sculpture de néons bien contemporaine, un art sacré moderne ?
Une croix bien contemporaine

L’art sacré est une rencontre

En fin de compte, l’argile et donc la sculpture, a toujours joué un rôle essentiel dans l’histoire humaine. De nombreuses cultures et religions l’ont associé au processus de création de l’homme. Renforçant ainsi l’attache profonde de l’humanité à la terre. L’art sacré peut se vivre comme moyen d’expression et de communication spirituelle, que l’on soit croyant ou non. Mais la relation entre foi et art sacré est intrinsèquement complexe et délicate. Les artistes et leur sculptures doivent naviguer entre les attentes et les traditions de la foi tout en laissant place à leur créativité. Créer des œuvres de foi reste donc un défi audacieux mais essentiel pour contribuer au dialogue entre spiritualité et expression artistique.

Avec l’évolution de l’art contemporain, la nature de l’art sacré a également évolué. Au-delà de l’iconographie traditionnelle et de la connexion personnelle de l’artiste avec la religion, l’accent est désormais mis sur la puissance de l’oeuvre et l’univers qu’elle crée, ainsi que sur la confrontation du spectateur avec cet univers. Ainsi, la dimension sacrée de la sculpture émerge lors de la rencontre fortuite mais marquante entre l’oeuvre et le regard du spectateur.

Pour aller plus loin voici des sources de lecture et de réflexion sur la place de l’art sacré.

L’art sacré, un art impossible

La sculpture dans la « querelle de l’Art Sacré » (1950-1960)

L’art sacré après guerre : conférence de Michel Debuyser

Si vous avez aimé, faites le savoir :)

Laissez moi un commentaire :)

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

  • Temps de lecture :20 min de lecture