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Une artiste une anecdote sur Dorothea Tanning, une artiste surréaliste qui explore l’identité féminine.
Dorothea naît le 25 août 1910 à Galesburg dans l’Illinois au sein d’une famille d’origine suédoise. Elle est la deuxième fille sur trois d’un père suédois rêveur et d’une mère passionnée par l’art. Dans sa petite ville où la vie est tranquille, elle trouve du réconfort en écrivant des poèmes. Dès son enfance, elle invente un monde imaginaire afin de fuir le puritanisme ambiant du Middle West. Elle grandit dans un équilibre fragile entre une imagination débordante et un luthéranisme strict. Pour fuir cette réalité, Dorothea plonge alors dans les œuvres de Lewis Carroll, Hans Christian Andersen et Oscar Wilde. Ce monde onirique inspirera son œuvre surréaliste, explorant identité et liberté face aux normes.
En 1930, elle quitte le Knox College après deux ans pour se lancer dans une carrière artistique. À vingt ans, elle poursuit brièvement des études à l’Académie des Arts de Chicago, avant de s’installer à New York en 1936. Elle y travaille alors comme illustratrice pour des magazines de mode. La même année elle découvre le surréalisme avec Duchamp, Picasso, Breton lors de l’exposition « Fantastic Art, Dada and Surrealism » au MoMA.
Dorothea Tanning réalise en 1941 deux expositions d’artiste solo grâce au galeriste Julien Levy. Cette mise en lumière lui permet de rencontrer les artistes surréalistes, dont Max Ernst, en exil aux États-Unis à cause de la guerre faisant rage en Europe. Dorothea est mariée, lui aussi mais ils tombent amoureux.
Dorothea Tanning peint en 1943 « Eine Kleine Nachtmusik », un tableau surréaliste emblématique. Dans une ambiance onirique on voit deux fillettes dans ce qui semble un couloir d’hôtel tapissé de moquette rouge. L’une adossée à une porte des vêtements ouverts jusqu’à la taille, l’autre de dos a les cheveux voletant à la verticale. Un tournesol géant gît sur le sol, des pétales arrachées. Une porte entrebâillée laisse passer une lumière vive. L’atmosphère est alors inquiétante, empreinte de danger latent. Ce tableau, créé lors de son premier voyage en Arizona avec Max Ernst, reflète leurs discutions sur fond de Mozart. Les tournesols sont pour l’artiste un symbole de lutte, les défis de l’enfance, provenant sans doute de son Middle West agricole natal.
Dorothea Tanning et Max Ernst se marient en 1946 lors d’un mariage double avec Man Ray et Juliet Browner. Son tableau « Maternity » réalisé en 1947 présente une maternité ambiguë, éloignée de l’image idéalisée de la mère. L’artiste ne voulait pas d’enfants, leur préférant son chien et le temps passé sur ses œuvres.
En 1952, Dorothea expose à la galerie Furstemberg à Paris, le couple s’y installe en 1953. À partir de 1955, après une période de peinture d’images directes et simples, les compositions de Dorothea Tanning évoluent vers une complexité accrue. Elle critique la structure hiérarchique de la famille et l’autorité masculine, tout en s’éloignant du mouvement surréaliste. La couleur est devenue primordiale. Une toile blanche à Sedona prendrait des teintes de bleu, violet et rouge rouillé, tout en restant verticale et incomplète.
Elle voulait créer des espaces qui révélaient des images inédites, comme si elles apparaissaient sans son intervention. « Insomnias » en 1957 marque le début de son exploration des merveilles et horreurs. Elle dirige le regard vers des espaces qui cachent et révèlent, créant une phantasmagorie pour ses œuvres futures. Tanning se concentre sur la lumière et l’interaction de corps libérés des normes de genre et de sexualité, tout en interrogeant son contrôle sur celle-ci et son pouvoir d’irradier des fantasmes.
Entre Paris et campagne française dans les années 1960 et 1970, Dorothea Tanning se lance dans la sculpture utilisant du tissu. À l’aide de sa Singer portable emportée depuis son départ de l’Illinois, elle façonne des formes rembourrées à partir d’objets et de textiles réutilisés. Avec « Pelote d’épingles pouvant servir de fétiche » créée en 1965, elle préfigure une série de sculptures molles évoquant aussi bien des meubles froissés que des créatures bulbeuses. En 1969 elle réalise la sculpture « Étreinte », en 1970 « Nue Couchée ». Ces œuvres se contorsionnent, menaçantes et empreintes d’érotisme. Par leur étrangeté corporelle, ces sculptures témoignent de son intérêt continu pour les thèmes de la métamorphose, des seuils et des forces inconscientes.
« Chambre 202, Hôtel du Pavot (Poppy Hotel, room 202) », créée en 1970 est une installation sculpturale. Elle utilise des matériaux variés tels que bois, tissus, laine, papier peint, tapis et ampoule électrique. Le numéro 202 rappelle une chanson d’enfance de Tanning sur Kitty Kane, épouse d’un gangster et suicidée dans un hôtel. Le symbole du pavot, lié aux rêves et à l’opium, accentue l’atmosphère troublante de l’œuvre. L’artiste souhaitait alors que le papier peint semble se déchirer évoquant des thèmes de cauchemars. Elle y a intégré des fragments corporels émergeant du décor afin d’amplifier l’impact visuel. Une ambiance terrifiante digne d’un film d’horreur.
En 1970 elle crée « Emma » à partir de tissu, laine et dentelle. Cette sculpture souple prend la forme d’un ventre rond émergeant d’une mousse de froufrous de dentelle ancienne et usée. Dorothea Tanning nomme cette œuvre surréaliste d’après le personnage principal du roman « Madame Bovary » de Flaubert. Emma Bovary, ennuyée et enfermée dans les rôles d’épouse et de mère, cherche à s’échapper à travers la littérature et des liaisons secrètes.
L’artiste décrit ses sculptures souples comme des « matériaux vivants devenant des sculptures vivantes ». Dorothea Tanning conçoit des œuvres étranges aux apparences rituelles utilisant des textiles garnis de laine, de balles de tennis, de morceaux de puzzle et d’épingles. Ses figures anthropomorphes en tissu aux formes féminines sinueuses allient ludisme, éléments sinistres et érotisme. Elles floutent les frontières entre l’objet et l’être, ainsi qu’entre le vivant et l’inanimé.
Après le décès de Max Ernst en 1976, Dorothea Tanning est revenue vivre à New York. Ses œuvres de cette période mettent en avant les aspects sensuels et spontanés de la nature humaine, tout en explorant des thèmes tels que l’espace, le mouvement et la chair. En 1984, l’artiste peint « Door 84 » en incluant une véritable porte dans son œuvre. D’un côté une fille pousse afin de l’ouvrir tandis qu’une autre la bloque, symbolisant ainsi la tension entre découverte et résistance, mais aussi un passage entre hier et demain. Elle évoque sa vie de couple ainsi que son parcours artistique dans son livre autobiographique « Birthday » paru en 1986. Ce fut également une façon de reparler à Max Ernst et de le re-présenter. Cliquez ici pour lire ou écouter l’anecdote « Max Ernst, un regard surréaliste unique ».
Tout au long de sa carrière, l’artiste a ainsi révélé une maîtrise incroyable à travers divers genres. Dorothea Tanning a mis en avant son talent d’artiste pour les paysages, les natures mortes et les études de personnages. Dans ses œuvres, elle aborde des thèmes tels que le bouleversement planétaire, la nécromancie et l’insubordination sexuelle. Elle donne ainsi naissance à des images troublantes et captivantes qui restent gravées dans la mémoire des spectateurs.
En plus de ses succès individuels, l’une des grandes satisfactions de la carrière de Tanning réside dans sa quête incessante d’un vocabulaire plastique renouvelé, balançant entre l’extase et le désarroi. La carrière impressionnante de l’artiste Dorothea Tanning s’est étalée sur plus de 70 ans. Elle a été mise en lumière lors d’expositions rétrospectives au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía de Madrid entre 2018 et 2019, et la Tate Modern de Londres en 2019.
Dorothea Tanning est décédée en 2012 à l’âge de 101 ans dans son sommeil à New York. Bien qu’elle ait apporté beaucoup au mouvement surréaliste, Dorothea Tanning a souvent évolué dans l’ombre de la reconnaissance de son mari et d’autres artistes de ce mouvement. Cependant, Max Ernst la considérait comme son égale, tant sur le plan personnel qu’artistique.
À bientôt pour une nouvelle anecdote !