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La sculpture hyperréaliste, un art étrange et fascinant

Pourquoi la sculpture hyperréaliste ?

Quête de perfection, jouer avec les illusions, repousser les limites techniques, immortaliser le temps… Peut être inspiré du mythe de Pygmalion, demandant à Vénus de donner vie à Galatée sa sculpture dont il est tombé amoureux. Plusieurs artistes ont exploré le réalisme et l’hyperréalisme à leur manière, le plus vrai que nature. La sculpture hyperréaliste agit comme un miroir, nous aidant à nous identifier et à nous connecter émotionnellement. Bien que ces oeuvres puissent susciter des réactions étranges, elles ne sont que des représentations artistiques qui nous font réfléchir à notre rapport à notre propre corps, notre place et à notre propre humanité. L’hyperréalisme est devenu un mouvement artistique majeur et certains artistes contemporains ont utilisé des moulages de corps réels dans leurs performances. Le bronze, le silicone, le moulage direct et autres techniques de sculpture nous laissent face à des oeuvres époustouflantes, dérangeantes et parfois touchantes.

Sculptures réalistes de l'antiquité au 19ème siècle
« L’Enlèvement de Proserpine » par Le Bernin à gauche – « La Petite danseuse de quatorze ans » par Degas au centre – « Âge d’Arain » par Rodin à droite

L’hyperréalisme depuis l’aube des temps

Dans l’Antiquité déjà on utilisait des masques de cire pour reproduire les visages des modèles. À la Renaissance cette pratique connaît un renouveau après avoir été oublié au Moyen Âge. Le Bernin par exemple démontre son talent incontestable en 1621 dans son œuvre « L’Enlèvement de Proserpine », illustrant le moment où Pluton enlève Proserpine. Les personnages, incroyablement réalistes, ainsi que les détails précis des vêtements. Le marbre génère une impression de mouvement dynamique. Il parvient alors à accomplir un exploit remarquable en pénétrant la chair de la cuisse de manière si puissante et précise avec ses doigts. L’apparence humaine en est saisissante.

Au 19ème siècle, certains artistes ont remis en question les idéaux esthétiques de l’Antiquité. Ils explorent en effet la représentation réaliste des corps humains. Le mouvement réaliste se focalise dans ces conditions sur la société contemporaine. Les artistes choisissent des sujets issus du monde ouvrier et paysan, plutôt que des thèmes romantiques ou bibliques.

La sculpture de la « Femme piquée par un serpent » par Auguste Clésinger, exposée au salon de 1847, montre une femme en proie au plaisir plutôt que la douleur. Avec cette œuvre plus réaliste que antique, on assiste à l’arrivée des « demi-mondaines » (nom donné à l’époque aux prostituées) sur la scène artistique. Cela commence à déranger car elles remplacent les déesses et les figures de la mythologie. Le modèle utilisé pour cette sculpture est Apollonie Sabatier, une demi-mondaine qui a captivé toute la société littéraire parisienne. Cette sculpture suscite un scandale car le modèle apparaît entièrement dénudée. Cela mettant en évidence sa cellulite, un aspect que le sculpteur aurait pu camoufler afin de transformer son modèle en allégorie.

Déja en 1877 l’authenticité même de Rodin sera remise en question avec son « Âge d’Arain », trop réaliste pour être vrai. Cliquez sur ce lien pour lire ou écouter le podcast à ce sujet. Degas en 1881 avec « La Petite danseuse de quatorze ans » verse dans la sculpture hyperréaliste. Cette œuvre fut à l’origine, une sculpture en cire portant de vrai vêtements. Cela scandalisera la société en révélant que le modèle, Marie Van Goethem élève et danseuse au ballet de l’Opéra de paris, posait nue.

On peut admirer Meunier Constantin avec « Le marteleur » en 1886. Ou plus tard sa statue en bronze « Grand paysan » en 1904.

Jules Dalou avec « Le Triomphe de la République » en 1899, représente un groupe monumental d’hommes et de femmes concentrés sur leurs travaux.

L’invention de la photographie au 19ème siècle permet une plus grande liberté artistique. Les sculpteurs ont alors commencé à exploiter cette méthode comme un outil de création. La sculpture hyperréaliste réintroduit la fidélité à la réalité avec une profondeur psychologique. Des techniques telles que les mises en scène et les distorsions de la réalité donnent par ailleurs vie à l’intériorité des sujets.


Les années 1960 et l’hyperréalisme : de nouvelles perspectives

L’apparition de l’hyperréalisme se situe dans les années 1960 sur la côte Est des États-Unis. Les artistes de cette époque cherchent à représenter la réalité de manière objective et précise, similaire à la photographie, que ce soit à travers la peinture ou la sculpture. Cette esthétique est en opposition à l’expressionnisme abstrait qui domine alors le monde de l’art contemporain avec Jackson Pollock ou Rothko. Elle s’inspire également du mouvement du Pop Art. Elle étend ses principes figuratifs et ses sujets populaires à la banalité du quotidien de la classe moyenne.

Les années 1960 ont ouvert de nouvelles possibilités techniques pour les artistes. Ces nouveautés leur permettent en conséquence de créer des œuvres d’une grande précision et de réalisme. Au cinéma, les effets spéciaux en maquillage contribuent à brouiller les frontières entre le monde réel et l’illusion artistique. Mais certains artistes préfèrent encore utiliser des matériaux traditionnels tels que le plâtre, la terre cuite ou le bronze, mettant l’accent sur leurs choix artistiques plutôt que sur le geste de l’artiste lui-même.

Ce mouvement artistique se fait dans un contexte où le modèle socio-économique des États-Unis est remis en question, notamment à cause de la guerre du Vietnam et des premiers chocs pétroliers dans les années 1970. Les artistes, qui ont confiance en l’image, se posent alors des questions sur la représentation de la réalité. Ce contexte met également en lumière les limites de l’« American way of life » : uniformisation des loisirs et consommation de masse avec des problématiques telles que le racisme, les modèles féminins promus par la publicité et le cinéma hollywoodien, ainsi que les exclus du capitalisme. En 1972, l’hyperréalisme a été officiellement reconnu comme un courant artistique en Europe.

Les pionniers de l’hyperréalisme contemporain

George Segal, artiste américain précurseur de l’art hyperréaliste, réintroduit les figures humaines dans ses sculptures. Il utilise des bandes de tissu trempées dans du plâtre pour créer des empreintes grandeur nature de ses modèles. Ses œuvres monochromes s’intègrent dans leur environnement, capturant donc l’essence de son époque. Par exemple, « 42nd Street Deli » recrée une scène nocturne et urbaine. À partir des années 1980 George Segal a inspiré des artistes tels que Duane Hanson et John DeAndrea dans le développement de leur art.

Je vous invite également à regarder les oeuvres de Ron Mueck, artiste australien né en 1958. Il a adopté une approche plus spectaculaire en manipulant les tailles de ses sculptures et en représentant des scènes étranges et dérangeantes. Il aborde à la fois l’intimité individuelle mais aussi le cycle de la vie.

Je vous présente ici certains artistes de exposition Hypersensible à Nantes en 2023.

Sculptures de Gilles Barbier
Gilles Barbier : « Hello » à gauche – « L’équilibriste » au centre – « Le tissage » à droite

Gilles Barbier

Né en 1965 à Vanuatu, Gilles Barbier a pour thèmes récurrents dans son travail le langage et la pensée. En utilisant son propre corps comme sujet, il crée des clones à son image et réalise des moulages de ses mains. Son œuvre « Hello », réalisée en 2014 utilise de la résine peinte à l’huile. Elle met en scène les lettres H, E, L, L, O de la langue des signes française. Cette œuvre invite donc les spectateurs à décrypter et interpréter les mouvements de la main comme un puzzle visuel. Son travail, à la fois polyvalent et conceptuel, célèbre la beauté et l’expressivité des mains tout en stimulant aussi la réflexion sur le langage et la perception.

Sculptures hyperréalistes de John DeAndrea
« Amber allongée » à gauche – « Femme brune debout » au centre – « Ariel II » à droite par John DeAndrea

John DeAndrea

John DeAndrea, né à Denver, États-Unis en 1941, lui aussi considéré comme un des pionniers de la sculpture hyperréaliste depuis les années 1960. Il utilise des moulages sur des modèles vivants et des matériaux tels que la fibre de verre, la résine et le bronze pour créer des sculptures d’une grande précision.
La sculpture « Amber allongée » réalisée en bronze peint avec des cheveux naturels, est une création de 2015. Elle représente une femme nue allongée dans une pose introspective, capturant un moment de tranquillité.
En 2011, DeAndrea crée la sculpture « Femme brune debout », une femme nue naturelle avec un visage maquillé et coiffée rappelant les normes de beauté occidentales. Il conçoit la même année « Ariel II », représentant une femme nue dans une pose classique, avec des détails réalistes. L’oeuvre exprime une profonde sensibilité intérieure, presque invisible. Elle célèbre la solitude universelle et invite le spectateur à s’identifier à ce moment ordinaire. C’est en fait une référence à « La Source » d’Ingres.

L’artiste dit vouloir pousser ses oeuvres jusqu’à ce qu’elles respirent.

Sculptures de Daniel Firman
Daniel Firman : « Excentrique » à gauche -Série « Attitude » à droite

Daniel Firman

Avec sa série « Attitude », Daniel Firman artiste français né en 1966, se focalise sur le dérangement provoqué par des figures adoptant des postures similaires mais toujours différentes. La sculpture « Excentrique » réalisée en 2003/2004 joue avec les notions de déjà-vu, de doubles et de miroirs. Daniel Firman, diplômé en danse et en arts visuels, explore le contact-improvisation et examine la relation entre le corps et l’espace. Il fige les mouvements des interprètes dans ses œuvres. Similaires aux figures de cire ou aux automates, elles apparaissent d’abord familières avant de devenir étranges. Ces sculptures évoquent des sentiments d’introspection et d’oppression, malgré l’absence de visage, et incite le spectateur à utiliser son imagination. Un corps appuyé contre un mur, tournant délibérément le dos au spectateur, renversant ainsi les conventions du portrait classique. Ces oeuvres nous encourage à projeter nos propres pensées et mouvements sur cet objet inanimé.

Cette capacité à créer une multitude de récits est caractéristique des sculptures hyperréalistes.

Duane Hanson, l'hyperréalisme de l'ordinaire
Artiste Duane Hanson : « Enfants jouant à un jeu » à gauche – « Pom-pom girl » au centre – « Dame du marché aux puces » à droite

Duane Hanson

Duane Hanson, un pionnier de l’hyperréalisme, crée des sculptures à partir de moulages sur modèles vivants dès 1967. Dans les années 1960, il représente la violence des émeutes raciales et de la guerre du Vietnam. À partir des années 1970, Hanson explore un nouveau thème en représentant la classe moyenne dans ses sculptures. En mettant en scène des individus ordinaires de taille réelle et modestement vêtus, ses œuvres critiquent le modèle social américain. L’american way of life valorisant la recherche du bonheur à travers la surconsommation.

En 1979, l’artiste réalise « Enfants jouant à un jeu ». Deux enfants sont absorbés par un jeu de société et semblent indifférents à leur environnement. L’artiste explore la société de consommation et les activités de divertissement de masse. Il questionne également la normalisation des loisirs chez les enfants et leur rôle de consommateurs dans les publicités.

L’œuvre « Pom-pom girl » réalisée en 1988 en polyvinyle peint à l’huile, avec des techniques mixtes et des accessoires, représente une jeune femme dans l’archétype américain des cheerleaders. Cependant, contrairement à l’image traditionnelle dynamique et enjouée, cette sculpture la montre avec les yeux perdus dans le vague et une expression absente.

« Dame du marché aux puces » de 1990, est réalisée en résine peinte à l’huile. Cette femme solitaire assise sur un fauteuil pliant, lit un magazine dans un marché aux puces. L’artiste soulève ainsi des questions sur la place de la culture dans notre société. L’art peut-il être considéré comme un simple produit ?

Sculptures de Sam Jinks
Sculptures de Sam Jinks : « Babies » à gauche – « Seated Woman » à droite

Sam Jinks

Les œuvres de Sam Jinks, australien né en 1973 sont raffinées et poétiques. En modifiant légèrement l’échelle l’artiste suscite une réaction émotionnelle chez le spectateur. Il capture avec puissance la vulnérabilité à travers sa représentation en miniature de ces deux nouveau-nés. Leur position recroquevillée et leur réalité saisissante évoquent alors le besoin de les préserver des potentielles difficultés du monde extérieur.

Tony Matelli, des sculptures renversantes
« Figure 1 » et « Figure 2 » à gauche – « Josh » au centre – « Herbes Folles » à droite par Tony Matelli

Tony Matelli

Tony Matelli, artiste américain né en 1971, crée en 2015 avec « Figure 1 » et « Figure 2 » des sculptures en silicone, acier, polyuréthane et cheveux. Les sculptures de corps nus renversés s’éloignent des représentations idéalisées et hypersexualisées. Leur mise en scène leur donne notamment une touche surprenante. Ils semblent échapper à la gravité. Elles remettent ainsi en question les perspectives traditionnelles sur les relations entre hommes et femmes. Entre rêve et absurdité, ces sculptures perturbent la réalité.
« Josh », une sculpture réalisée en 2010, représente de manière troublante un jeune homme en lévitation. Malgré sa position inexplicable, Josh est habillé de manière décontractée, soulignant le contraste entre son apparence ordinaire et le phénomène paranormal auquel nous assistons. Cette posture extraordinaire évoque les expériences oniriques et extatiques, transportant le corps au-delà de lui-même. Une réflexion sur la vulnérabilité de l’être humain et son rapport à la réalité.

Tout au long du parcours de l’exposition, des plantes adventices semblent avoir colonisé les recoins des salles. Ces « Herbes Folles » sont moulées en bronze et peintes à la mains. Elles remettent en question notre attention envers la nature.

Evan Penny, des sculptures hyperréalistes qui jouent sur les perspectives
Evan Penny : « Le dos de Danny » à gauche – « Camille » à droite

Evan Penny

Fort de ses compétences acquises dans le maquillage d’effets spéciaux au cinéma, Evan Penny, né en Afrique du Sud en 1953, crée ensuite des sculptures qui brouillent les frontières entre réalité et fiction.

En 2009 « Le dos de Danny » présente la sculpture en bronze d’un homme de dos. L’artiste met l’accent sur les détails des épaules, du cou et de la forme de la tête. Malgré l’intimité suscitée par cette représentation de buste, le visage reste invisible grâce à une tromperie visuelle. Cela soulève des questions sur la représentation de l’humain et notre relation aux images en deux dimensions.

Avec « Camille », réalisée en 2014 en silicone peint et cheveux réels, Evan penny crée une représentation précise de la peau et du corps. Tout en défiant d’ailleurs les conventions de taille et de forme. Cette distorsion remet en question la manipulation numérique des images dans notre société.

Sculptures hyperréalistes de Marc Sijan
Oeuvres de Marc Sijan : « Femme en noir » à gauche – « À genoux » à droite

Marc Sijan

Marc Sijan, né en Serbie en 1946, a collaboré avec Duane Hanson. Il se lance ensuite dans sa propre carrière artistique dans les années 1970. Ses répliques humaines intrigantes dégagent un certain pouvoir émotionnel.

L’œuvre « À genoux » réalisée en 2015 est une sculpture captivante en résine et acier, avec des prothèses oculaires, cheveux naturels et vêtements. Elle représente une femme assise sur ses talons, les yeux fermés et les épaules basses, symbolisant alors la reddition et la soumission. L’expression calme et détendue du visage ainsi que la posture corporelle transmettent une sensation de tranquillité. L’artiste choisit des modèles rencontrés dans la rue, puis reproduit minutieusement leur corps avec des moules et ajoute des détails tels que la peinture, les accessoires et les cheveux. Cette œuvre invite le spectateur à une introspection intime et peut susciter une connexion émotionnelle.
L’oeuvre « Femme en noir » de 2022 est une sculpture réalisée en résine polyester, acrylique, acier, prothèses oculaires, cheveux naturels et vêtements. Elle représente une femme d’un certain âge. Sa posture expose avec confiance et sans réserve son corps en sous-vêtements et chaussures. L’artiste, Sijan, capture ainsi avec précision les signes de vieillissement physique tels que la peau fine, les taches de vieillesse et les rides, tout en montrant un corps musclé et plein de vitalité. La sculpture suscite chez les visiteurs une réflexion sur leur propre apparence, leur vieillissement et leur avenir. Elle confronte à une introspection troublante et invite effectivement à observer son propre corps et à méditer sur son futur.

Sculpture hyperréaliste de Tip Toland
Tip Toland : « Si je retiens mon souffle, vais-je m’élever ? »

Tip Toland

L’artiste américaine Tip Toland, née en 1950, expose une œuvre créée en 2021 intitulée « Si je retiens mon souffle, vais-je m’élever ? ». Elle se représente elle-même en utilisant le grès et d’autres matériaux tels que la peinture et la craie. Le grès, un matériau fragile et délicat, permet d’évoquer la condition humaine. Cette représentation peut susciter chez le spectateur l’envie de reproduire la même action. Mais il est évident que la lutte est vouée à l’échec.


Hyperréalime, un pied dans la vallée de l’étrange ?

La sculpture hyperréaliste nous permet un parallèle avec le domaine de l’étrange ou l’inquiétante étrangeté dont parle Freud. Selon la théorie de la « vallée de l’étrange » de Masahiro Mori, les observateurs préfèrent généralement les robots évidemment artificiels plutôt que les androïdes ressemblant trop à des humains, car les défauts de ces derniers semblent monstrueux et dérangeants.

Les sculpteurs hyperréalistes représentent finalement la psychologie des individus en déconstruisant les stéréotypes sociaux. Leurs œuvres capturent des moments ordinaires, reflétant l’attente, la solitude, l’intimité. Les sculptures jouent avec les modes de représentation, suscitant empathie ou malaise, et interrogent ainsi la relation entre le réel et l’imaginaire.

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