Le vide artistique est une réalité à laquelle un artiste est confronté à un moment donné de sa carrière de créatif. Cependant, ne voyons pas cette période comme une impasse créative. Voyons la plutôt comme une opportunité de se renouveler et de repousser les limites de son art.

La première partie de cet article mettra en lumière le philosophe Gaston Bachelard. Ce dernier explore le potentiel imaginatif et créatif de l’espace vide. Nous verrons ensuite en deuxième partie différents artistes traitant du vide comme moteur de création chacun à leur manière : Sophie Calle et sa série « Que voyez-vous ? », Lucien Fontana et ses perforations avant-gardistes, Robert Rauschenberg et Pierre Soulages à travers leurs monochromes, et Yoko Ono qui encourage la réflexion et la remise en question. Enfin, la troisième partie proposera différentes pistes et stratégies pouvant aider les créatifs à surmonter le vide artistique.

Le pouvoir créatif du vide par Bachelard

Gaston Bachelard, philosophe français du 20ème siècle, est célèbre pour ses travaux sur l’imaginaire, la poétique et la philosophie de la science. Son livre « La Poétique de l’espace » (achetez ce livre sur Amazon) se concentre sur le vide et explore comment celui-ci peut être une source de créativité et d’imagination. .
Il analyse l’idée selon laquelle l’espace vide, qu’il qualifie « d’intimité de l’instant », peut être un terreau propice à la création artistique et poétique. Il soutient que le vide ouvre des possibilités multiples à l’imagination, en permettant à l’esprit de se libérer des contraintes de la réalité matérielle et d’explorer une forme de liberté créative.

Le vide : un terreau fertile pour l’imagination

Le vide n’est pas un concept négatif, mais plutôt un espace positif qui offre une liberté de création. L’artiste doit pouvoir se plonger dans le vide afin de s’ouvrir à de nouvelles idées et ensuite les exprimer librement. Il explique que l’imagination créatrice peut y trouver un sol fertile pour s’épanouir et se développer.

Le vide est une notion complexe et intrigante dans le domaine de l’espace. Il est souvent associé à une absence ou à un manque. Sa perception peut changer en le voyant comme une potentialité, un espace ouvert à l’imagination et à la créativité. Bachelard explore l’idée que le vide peut être un espace de possibilités infinies. De nouvelles idées et de nouveaux concepts peuvent alors en émerger. Dans son ouvrage « La Poétique de l’espace », Bachelard souligne l’importance de l’invention d’images spatiales dans le processus de création artistique. Il affirme que le vide peut être une source d’inspiration, car il permet de libérer l’imagination et de créer de nouvelles représentations symboliques de l’espace. Le vide offre un champ d’exploration illimité, où des idées nouvelles et surprenantes peuvent se développer.

Le vide intérieur : une source de richesse et de profondeur

Bachelard aborde également la question du vide en tant qu’espace intérieur. Il explore comment notre maison, notre chambre, notre intimité peuvent être perçues comme des espaces vides, mais qui sont en réalité pleins de significations et d’émotions. Le vide intérieur est un espace qui nous appartient, qui reflète notre identité et nos souvenirs. Il peut être un refuge, un lieu de retrait où l’on peut se connecter avec soi-même et avec les autres.

Bachelard insiste sur le fait que le vide ne doit pas être considéré comme une absence, mais comme une présence qui invite à l’exploration et à la contemplation. Il souligne que le vide n’est pas nécessairement négatif, mais peut être une source de richesse et de profondeur. Selon lui, le vide peut être un espace fécond qui suscite la réflexion et encourage l’expérience artistique.

Le vide ne doit pas être simplement perçu comme une absence, mais plutôt comme une entité autonome qui peut être peuplée et découverte. Il met en évidence l’importance de la contemplation et de la réflexion dans le vide, car c’est dans ce vide que les idées peuvent prendre naissance et se développer. Il voit le vide comme un espace de potentiel infini, où les pensées et les visions peuvent s’épanouir sans aucune limite.

L’exploration du vide

Gaston Bachelard suggère une expérience du concept du vide créatif en plusieurs étapes à explorer pour un artiste:

• Prendre le temps de contempler le vide : faites une pause et observez un espace vide, en remarquant comment il vous inspire et éveille votre imagination.
• Plonger dans l’intimité de l’instant : considérez le vide comme un espace d’intimité et de créativité, en laissant votre esprit se libérer des limites de la réalité matérielle.
• Réfléchir dans le vide : utilisez cet espace vide pour réfléchir et laissez les idées émerger naturellement. Laissez-vous guider par les pensées et les visions qui en découlent.
• Cultiver la liberté créative : considérez le vide comme un lieu de possibilités infinies. Expérimentez et exprimez vos idées librement, sans restrictions.
• Nourrir l’imagination créative : permettez à votre imagination de s’épanouir et de se développer dans cet environnement propice. Plongez dans le vide pour découvrir de nouvelles idées et formes d’expression.

Une approche originale du vide

En résumé, Gaston Bachelard propose une approche originale de la notion de vide dans le contexte de l’espace. Il explore comment le vide peut être perçu comme un espace de potentialités infinies, d’exploration et de créativité. Il met en évidence l’importance de l’invention d’images spatiales et de l’exploration de l’intimité pour comprendre notre relation au vide. Le vide n’est donc pas seulement une absence, mais un espace riche en significations et en émotions, qui invite à la réflexion et à la contemplation.

Le vide : moteur de création

Sophie Calle : la mémoire et le vide

Cette artiste décalée mêle fiction et autobiographie avec sensibilité. Elle pousse à nous interroger sur les filtres que nous utilisons pour appréhender l’art et sur les multiples réalités qui coexistent dans notre monde. Elle explore des thèmes profonds liés à l’identité, l’intimité et à la subjectivité, tout en invitant le spectateur à réfléchir sur sa propre perception du monde.

Sa série « Que voyez vous ? » part d’un vol survenu en 1990 au musée Isabella Stewart Gardner de Boston. Des tableaux de Vermeer, Rembrandt, et d’autres y ont été dérobés, laissant juste les cadres abandonnés sur les lieux. Les cadres vides ont été remis en place, soulignant la présence manquante des œuvres. Elle a donc demandé aux membres du personnel du musée ainsi qu’aux visiteurs de lui décrire ce qu’ils voyaient à l’intérieur de ces cadres vides.

« Je vois un cadre vide qui renferme une absence. C’est gris, flou, c’est comme de la brume, comme si nous n’étions pas là. C’est un néant impossible à décrire Je vois un espace sacré… »

Sophie Calle

Chaque personne a une perception différente de l’œuvre et partage ce qu’elle voit et ressent à travers ses propres mots. Certaines remarquent le cadre, son aspect usé, d’autres évoquent l’idée d’une installation ou d’un vol. D’autres encore se concentrent sur la tapisserie, les plis, les ombres et la lumière. Certains observent les détails laissées sur le cadre. Ces différentes perceptions mettent donc en évidence la subjectivité de la vision artistique et la manière dont chacun d’entre nous interprète et donne un sens à une œuvre d’art. Elles soulignent également la nature énigmatique et suggestive de l’absence créant ainsi une multiplicité d’interprétations et d’histoires possibles.

Elle a aussi pris le temps de faire un inventaire des projets réussis lors de son exposition au musée Picasso. Elle s’est interrogée sur le sort réservé aux idées qui stagnent, attendant d’être concrétisées. Avant de disparaître, pour elle il est crucial de passer en revue les ébauches, les tentatives abandonnées et de donner vie aux intentions. C’est une façon de conclure, de mettre un terme à ce qui est resté inachevé.

Fontana : le vide interactif

Lucien Fontana né en 1899-1968 en Argentine était un sculpteur et peintre renommé pour ses tableaux lacérés qui laissent passer le vide. En 1949, il introduisit avec « Concetto spaziale 50-B.1 » une innovation audacieuse en utilisant des perforations dans la toile. Une idée peut-être inspirée par sa formation de sculpteur en quête d’une troisième dimension. Il crée une interaction constante entre le monde de l’œuvre d’art et l’infini qui l’entoure. Sa quête incessante de nouveauté le pousse toujours à remettre en question les idées préconçues. Considéré comme un geste sacrilège à l’époque, l’artiste cherchera à se libérer de l’univers confiné de la peinture.

Fontana a marqué le monde de l’art abstrait, son travail a encouragé une génération d’avant-garde européenne nommée ZÉRO. Les artistes de ce groupe s’efforcent de limiter leur rôle dans le processus de création. Parmi eux citons Yves Klein qui créera « Terre Bleue » en 1957 (dévcouvrez-le dans le podcast « Yves Klein un visionnaire de l’art et de la couleur »), Piero Manzoni avec « Achrome » en 1958 et plus récemment Anish Kapoor avec son monochrome « Non Object Black » en 2015.

Le vide monochrome

Des études révèlent que nous voyons les couleurs avant les formes, car notre perception visuelle est influencée par la lumière. Monochrome vient du terme grec et signifie « une seule couleur ». Il peut être utilisé aussi bien pour des œuvres en deux dimensions, comme la peinture, que pour des œuvres en trois dimensions.

C’est Kasimir Malevitch qui crée le premier tableau monochrome « Carré blanc sur fond blanc » en 1918. Viennent ensuite Mark Rothko, Pierre Soulages. Ces artistes modifient le rapport du spectateur à la peinture en réduisant celle-ci à une seule couleur. L’objectif : provoquer une émotion plutôt que d’essayer de comprendre.

Les monochromes de Rauschenberg

Robert Rauschenberg, un artiste américain réputé pour son approche multidisciplinaire de l’art, s’est intéressé au concept du vide dans ses œuvres. Dans sa série « White Paintings » en 1951, il a créé des toiles intégralement blanches pour représenter visuellement le vide. Son objectif était de remettre en question la nature même de la peinture et de se concentrer sur la perception de l’espace et du vide.

Dans les années 50, il a également réalisé des monochromes noirs, les « Black Paintings », où des collages de journaux ont été ajoutés aux toiles noires. Contrairement aux « White Paintings » qui célèbrent le vide, les « Black Paintings » sont caractérisées par une texture prononcée et un désir évident de remplir l’espace. Ces toiles sont considérées comme hypersensibles, car elles évoluent constamment en fonction des spectateurs, de l’environnement et de la luminosité. Cette approche incite les spectateurs à réfléchir à leur propre perception et à leur interaction avec l’art, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives artistiques et les invitant à une participation active.

L’outrenoir de Soulages

Selon Pierre Soulages lui-même, parlant de ses monochromes, il se réfère à « une lumière réfléchie, transformée par le noir, au-delà du noir ». Soulages met donc en avant le rôle de la surface et de la texture de l’œuvre dans la création de variations de lumière oscillant entre le mat et le brillant, le noir et le gris. L’artiste se laisse guider par la lumière lors de la réalisation de son œuvre. Néanmoins, ses toiles ne sont pas entièrement monochromes car, l’outrenoir n’est jamais tout à fait identique en fonction de la position du spectateur et du moment où il observe la peinture. En fin de compte, l’œuvre est perçue comme une relation entre la peinture elle-même, l’artiste qui l’a créé et celui qui la contemple.

Yoko Ono : la limite du vide

Yoko Ono utilise son talent artistique pour explorer des concepts en engageant le public dans des performances ou en créant des œuvres conceptuelles. Son objectif est de susciter une réflexion sur l’existence, les limites et même le sens de l’art.

Artiste plasticienne associée au mouvement Fluxus depuis 1964. L’un de ses « happenings » les plus significatifs et improvisés est sa performance « Cut Piece » en 1964. Yoko Ono invite le public à découper ses vêtements sur scène, créant ainsi un vide physique autour d’elle-même. Cette performance explore de manière symbolique et physique les notions de pouvoir, de contrôle et d’objet artistique, remettant ainsi en question les idées établies. Elle met en avant la vulnérabilité de l’artiste et interroge les frontières entre la sphère publique et privée. En encourageant les spectateurs à réfléchir à leur propre responsabilité et aux limites de leurs actions dans le contexte social et artistique.

Elle a créé « White Chess Set » en 1966, un jeu d’échecs où toutes les pièces sont blanches et posées sur un plateau lui aussi entièrement blanc. Une plaque de laiton située en dessous précise : « Jouez aussi longtemps que vous vous souvenez où se trouvent toutes vos pièces ». Cette œuvre invite à réfléchir à la mémoire et à l’importance de se souvenir.

10 Conseils concrets face au vide

Je vous propose des réflexions concrètes avec des expériences, des rencontres. À vous de jouer !

1 Prendre de la hauteur

Lorsque vous vous sentez coincé dans un vide créatif, prenez du temps pour vous éloigner de votre art. Faites une pause, respirez, et laissez votre esprit se reposer.

2 S’inspirer aussi de l’extérieur

Cherchez l’inspiration en dehors de votre domaine artistique. Lisez des livres, regardez des films, visitez des expositions ou explorez la nature. Exposer votre esprit à de nouvelles expériences peut raviver la créativité.

3 Garder un journal artistique

Tenez un journal où vous pouvez écrire vos idées, vos pensées et vos inspirations. Cela vous permettra de revenir en arrière lorsque vous vous sentez moins créatif et de récupérer des idées précédentes.

4 Collaborer avec d’autres créatifs

Travaillez avec d’autres artistes ou des personnes qui vous inspire, participez à des ateliers, des groupes de discussion ou même à des projets collaboratifs. L’échange d’idées et de points de vue peut stimuler votre créativité.

5 Expérimenter de nouvelles techniques et matériaux

Sortez de votre zone de confort en explorant de nouvelles techniques artistiques ou en utilisant des matériaux différents. Cela peut apporter un nouvel élan à votre créativité.

6 Faire de l’exercice et prendre soin de soi

Prenez soin de votre bien-être physique et mental. L’exercice régulier, la méditation et le temps consacré à des activités qui vous plaisent peuvent certainement favoriser une mentalité créative.

7 Explorer d’autres formes d’art

Si vous êtes spécialisé dans une forme d’art spécifique, essayez alors de vous aventurer dans d’autres domaines artistiques. Par exemple, si vous êtes sculpteur, essayez-vous à la peinture ou à la photographie. Cela peut élargir votre perspective créative.

8 Rechercher des critiques constructives

Partagez votre travail avec d’autres artistes ou mentors de confiance et demandez-leur des critiques constructives. Cela peut vous aider à voir votre travail sous un nouvel angle. Il est alors possible d’identifier des domaines où vous pouvez vous améliorer.

9 Se fixer des défis

Lancez-vous des défis artistiques pour sortir de votre zone de confort. Par exemple, essayez de créer une série d’œuvres en utilisant uniquement une couleur spécifique. Ou encore explorez un thème nouveau pour vous. Ces défis peuvent stimuler votre créativité et vous aider à surmonter le vide artistique.

10 Persévérer

N’abandonnez pas face à une période de vide créatif. La créativité est un processus cyclique, et la persévérance est essentielle pour surmonter les blocages. Continuez à travailler et à explorer, même lorsque vous ne vous sentez pas inspiré, et vous finirez par retrouver votre élan créatif.

Le vide dans la quête de créativité de l’artiste

La recherche du vide et de non-sens dans l’art, peut également s’appliquer à notre quête de créativité. Processus imprévisible et non linéaire, ce voyage est fait de hauts et de bas, de barrière brisées, de non-sens. Pendant une période de grande créativité, nous pouvons consacrer des heures à explorer de nouvelles techniques. Nous pouvons expérimenter de nouvelles idées et produire des œuvres extraordinaires. Cependant, une période de stagnation, de vide, peut survenir, et un artiste se sentira bloqué, incapable de produire quelque chose de satisfaisant, de créatif. Ces périodes de vide dans notre processus créatif peuvent néanmoins se transformer en opportunités de croissance. Une prise de recul, de hauteur.
S’inspirer peut se faire en visitant des musées, en se promenant dans des jardins. La méditation sur nos pensées et émotions est également source d’inspiration. Cette introspection nous permet de découvrir des concepts profonds qui stimuleront notre créativité. En effet, la pratique de la recherche du vide en tant qu’artiste nécessite une exploration continue et une ouverture d’esprit afin de trouver de nouvelles sources d’inspiration.
En fin de compte, confrontés à une crise majeure dans notre parcours créatif ou à un simple passage à vide, notre capacité à faire face à ces situations difficiles nous permet de grandir en tant qu’artiste. Nous pouvons découvrir de nouvelles voies créatives et renforcer notre passion et notre engagement envers notre art. À travers les différentes pistes et stratégies proposées, nous espérons inspirer et aider les artistes à surmonter le vide artistique et à continuer à créer avec passion et créativité.