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Comment l’automobile se fait sculpture contemporaine – 2ème partie

La voiture, symbole de progrès et de liberté, occupe une place de choix dans l’imaginaire collectif. Elle a façonné nos modes de déplacement. La voiture a également imprégné le domaine artistique, notamment la sculpture, en offrant un puissant médium d’expression et de critique.

Dès les années 1900, les futuristes italiens ont magnifié la vitesse et le mouvement automobiles. Ils ont célébré ainsi une ère de transformation dynamique et irréversible. Pourtant, au fil du temps, l’optimisme entourant l’automobile a laissé place à des interrogations plus profondes sur ses implications socio-économiques et environnementales.

Dans le cadre de la sculpture contemporaine, la voiture se métamorphose en un outil de contestation de la société de consommation. Des artistes visionnaires utilisent sa forme et sa symbolique pour explorer la dualité entre tradition et modernité. Dans cet article, nous plongeons au cœur de ces créations dans lesquelles la voiture devient à la fois outil et matière d’un art engagé. Il met en exergue des œuvres qui détournent l’objet automobile pour questionner notre dépendance aux biens matériels, notre identité culturelle, et la toute-puissance des multinationales. Découvrez comment les sculpteurs contemporains transforment la symbolique automobile en une réflexion poignante sur les dérives de notre société actuelle.

Un symbole de liberté en mutation

La voiture est symbole de modernité et de liberté depuis sa création à la fin du 19ème siècle. Elle a profondément influencé la culture artistique, surtout dans le domaine de la sculpture. Au début des années 1900, les futuristes italiens comme Giacomo Balla et Luigi Russolo ont célébré la vitesse et le mouvement. Ils ont capturé l’excitation des automobiles naissantes à travers des œuvres dynamiques. Cependant, cette exaltation initiale a rapidement cédé le pas à une analyse critique.

Bien plus tard, la crise pétrolière des années 1970 a révélé les dérives d’une consommation excessive. L’automobile devient alors un symbole d’excès et de pollution. Aujourd’hui l’automobile, autrefois vénérée, doit relever des défis considérables : urbanisation en forte hausse, pénurie de pétrole, et avancées technologiques. La transition vers des véhicules électriques, autonomes et partagés s’avère essentielle pour répondre aux enjeux environnementaux. Sans oublier les attentes des nouvelles générations, qui se tournent vers des options alternatives à la possession d’une voiture. L’avenir de cette industrie repose sur sa capacité à s’adapter rapidement.

Jimmie Durham : la nature frappant la consommation moderne

Jimmie Durham, sorcier chaman et artiste iconoclaste, se distingue par son utilisation audacieuse de matériaux variés dans son œuvre. Parmi ses créations marquantes, les sculptures mettant en scène des voitures sont particulièrement révélatrices de sa vision.

Une nature puissante

Dans « Still Life with Stone and Car » en 2004, l’artiste illustre avec une ironie mordante la collision entre le monde naturel et artificiel. Dans cette sculpture, un rocher s’attaque à une voiture. Il symbolise la brutalité de la consommation et le délabrement de notre société. Durham utilise cette violence comique pour interroger notre rapport aux objets du quotidien, transformant des vestiges urbains en œuvres chargées de sens.

Jimmie Durham - Still Life With Stone and Car
Still Life With Stone and Car – sculpture par Jimmie Durham – Photo Stefan Jürgensen – Flickr

En 2007 l’artiste crée « Still Life with Spirit and Xitle ». Il écrase une Chrysler Spirit (esprit) en laissant tomber un rocher volcanique de 9 tonnes, marqué à la peinture d’un smiley comique. Le rocher provient du volcan mexicain Xitle signifiant esprit, ayant détruit une ville ancienne lors d’une éruption. Il capture ainsi le moment de collision entre l’ancien et le nouveau monde.

À travers ces sculptures, il brouille les lignes entre art et réalité, tout en reflétant ses préoccupations politiques en tant que militant pour les droits civiques et la cause indienne. La destruction apparente des voitures devient une métaphore puissante de la lutte entre nature et culture, un thème récurrent dans son œuvre. Ces assemblages, qui témoignent d’un désordre savamment orchestré, évoquent une vision du monde en constante discontinuité, où chaque élément trouve un nouveau souffle par le prisme de l’art.

Mármol : collision de la tradition et de la modernité

Durham aborde l’impact de la consommation par une approche directe, tandis que Mármol souligne la tension entre innovation technologique et traditions culturelles. Nous parlerons culture et identité avec l’artiste Chavis Mármol. Dans « Tesla Crushed by an Olmec Head » l’artiste présente une voiture Tesla écrasée par une sculpture de tête olmèque de neuf tonnes, à Mexico en 2024. Cette installation est une critique directe à l’installation d’une méga factory. Si Mármol utilise cette métaphore afin de révéler un choc entre culture et technologie. L’artiste, la quarantaine, expose son œuvre dans le quartier animé de la Roma à Mexico. Il vise à interpeller Elon Musk.

« Regarde ce que je fais de ta sacrée voiture »

Un symbole de résistance culturelle

La destruction de la Tesla par la tête olmèque symbolise la résistance de la culture mexicaine face à la mondialisation et à l’influence des grandes entreprises. L’artiste voit dans la Tesla un symbole du luxe et de la technologie ostentatoire, inaccessible à la plupart des mexicains. Le choix d’une tête olmèque pour écraser la voiture est significatif. En effet les Olmèques, cette civilisation précolombienne du Mexique, représentent un riche héritage culturel.

En juxtaposant la tête olmèque, symbole du passé, à la Tesla, symbole de la modernité technologique, Mármol met en lumière le contraste entre la culture mexicaine traditionnelle et l’influence grandissante des multinationales comme Tesla. Le coût élevé de la Tesla renforce le message de disparité économique et d’accessibilité. L’artiste insiste sur le fait que l’œuvre n’aurait pas eu le même impact avec une autre voiture. Il souligne ainsi l’importance de la marque et de son image dans son message.

Mármol se déplace principalement à vélo et n’a jamais possédé de voiture. Cette œuvre s’inscrit dans son travail sur les « Tamemes ». Ces porteurs du Mexique pré-hispanique étaient chargés de lourdes charges sur le dos. Lui même en portant une tête olmèque, met en lumière le travail difficile et l’exploitation des livreurs contemporains. L’installation de Mármol s’inscrit dans une tradition d’art contestataire qui utilise des objets du quotidien pour transmettre des messages politiques et sociaux. Il aborde ainsi les injustices et l’impact du capitalisme sur la société mexicaine.

L’art contemporain subjectif

Cette création soulève des questions sur le rôle de l’art en tant que critique sociale. Sa pertinence d’utiliser des objets coûteux pour transmettre des messages anticapitalistes est également mise en doute. Certains comme Avelina Lésper, contestent la légitimité de l’art contemporain. Ce mouvement reçoit la qualification d’imposture fondée sur la spéculation économique et le favoritisme. Selon elle, cet art manque de substance et repose sur une médiocrité ambiante. Cependant, d’autres, comme Margarita Ongay, défendent le travail de Mármol pour sa capacité à éveiller les esprits et les émotions.

Benedetto Bufalino : interactions et inventivité

Les œuvres de Benedetto Bufalino captivent le public en transformant l’environnement urbain en un espace de rencontre et de dialogue. Ses créations, telles que ses voitures métamorphosées, agissent comme des catalyseurs de conversation, brisant ainsi la routine quotidienne. Né en 1982 et résidant à Paris, Bufalino est un artiste contemporain renommé pour ses détournements de véhicules ordinaires. L’artiste en fait des œuvres d’art ludiques et intrigantes dans l’espace public, inspirées de la vie quotidienne.

La « Voiture Lampadaire » présente une Peugeot 406 blanche renversée et perchée au sommet d’un lampadaire. Créée pour l’édition 2019 des Extatiques, cette pièce est intégrée à la collection d’art de Paris La Défense. Cette installation dialogue avec l’architecture environnante et les passants. Elle contribue à animer le quartier tout en illuminant la voie publique le soir.

Parmi ses transformations, on trouve la « Voiture Jacuzzi » de 2014. Une Seat Ibiza convertie en espace de détente aquatique. Également la « Voiture Table de Ping-Pong » de 2016 pour des parties spontanées. Ou encore la « Pelleteuse Aquarium » en 2017 abritant des poissons. Il réalise également le « Bus Piscine » et la « Terrasse en bois sur les voitures » en 2019. En 2020 L’artiste réalise la « Piste d’athlétisme sur les voitures ».

Un art accessible

En misant sur l’inventivité l’artiste Bufalino privilégie la participation et le partage. Ainsi il renforce le tissu social et permet des moments conviviaux. Ses créations démontrent comment de simples changements peuvent inspirer des échanges significatifs et redéfinir notre quotidien. Elles favorisent la découverte collective et la connexion humaine. Bufalino soutient l’idée que des interactions humaines authentiques peuvent être facilitées par l’art, sans nécessiter de barrières institutionnelles comme les musées ou les galeries.

Alexandra Bircken : réflexions sur la fragilité humaine

L’œuvre de Alexandra Bircken s’articule autour de la politique. Elle interroge notre réactivité face aux événements contemporains ainsi que l’influence de ces derniers sur notre compréhension de l’identité et de la vulnérabilité. Bircken utilise des objets du quotidien pour aborder des thèmes essentiels tels que le corps, la matérialité et leur relation avec des problématiques sociopolitiques. Elle questionne ainsi notre rapport à la consommation, à la violence et à la fragilité de l’existence humaine dans un monde en constante évolution. Découvrez cette artiste dans l’anecdote « L’artiste Alexandra Bircken interrogation de la tension entre plein et vide ».

L’intérieur exposé

Parmi ses sculptures emblématiques figurent des carrosseries ouvertes et des motos découpées, telles que « Aprilia » en 2013 et « Ducati Diana » de 2014. La Diana 250, modèle légendaire conçu dans les années 1960, est présentée dans sa version compétition. Le véhicule est sectionné longitudinalement en deux parties posées au sol comme des ailes de papillon. Ce choix de nom, Diane, fait référence à la déesse romaine de la chasse et de la nature. L’œuvre met en lumière la connexion entre la machine et le principe féminin. En sectionnant ces motos emblématiques, Bircken révèle une intimité insoupçonnée, transformant ces machines en entités presque organiques. L’exposition des entrailles de ces véhicules engage un dialogue sur la vulnérabilité tant des objets que des corps humains.

L’expression d’une fragilité

En relation avec ces machines, l’artiste expose également des combinaisons de moto telles des peaux animales épinglées aux murs. Cette intégration d’éléments textiles ou organiques dans ses sculptures crée un contraste frappant entre l’univers industriel et la fragilité humaine. Cela soulève des réflexions sur la manière dont nous protégeons et habillons nos corps. Cette fusion des matériaux traditionnellement associés aux univers féminin et masculin contribue à brouiller les frontières des genres. Ces notions de destruction, mais également de réparation et de renaissance, interrogent alors notre rapport à l’identité et à la technologie.

Ainsi, les œuvres d’Alexandra Bircken incarnent un paradoxe de force et de fragilité, de mouvement et d’immobilisme. En rapprochant l’art de la vie, elle nous pousse à redéfinir notre place dans un monde façonné par les machines, tout en célébrant une approche fluide et mutante de notre identité.

Virginia Overton : reconsidérer mobilité et fonctionnalité

Virginia Overton naît en 1971 à Nashville, Tennessee. Sont travail en sculpture incorpore souvent des objets trouvés ou ready-made et est également en lien avec le lieu d’installation. Bien que les créations de Overton possèdent des dimensions imposantes, elles réussissent à inspirer un sentiment d’intimité et de familiarité. L’utilisation de matériaux de récupération rend ces pièces compréhensibles, tandis que la poésie subtile de leur conception et leur intégration précise à leur environnement les distinguent d’autres assemblages. Souvent Virginia Overton déconstruit ses réalisation dans son atelier et réutilise les composants. Cette démarche contribue à un sentiment de mouvement constant.

L’artiste crée en 2016 pour l’exposition en plein air Parcours à Bâle la sculpture « Untitled (HILUX) » à partir d’une voiture Toyota Hilux. Elle l’installe devant les bureaux des travaux publics et des transports. Cette œuvre repose sur une idée originale : chaque pièce du véhicule a été démontée et entassée sur son propre plateau.

Ce processus invite le spectateur à reconsidérer l’utilité et la fonction de l’objet. Elle souligne toutefois la complexité et la multiplicité des composants qui le constituent. Par la déconstruction d’un véhicule, Virginia Overton critique aussi la culture automobile et notre relation à ces machines omniprésentes. En retirant aux pièces leur fonctionnalité première, elle remet en question notre dépendance à l’égard des voitures et des camions. Elle souhaite susciter une prise de conscience de leur impact environnemental et social.

Overton engage une réflexion sur les notions de mobilité et de migration. Le véhicule, symbole de mouvement et de déplacement, devient ici un objet statique, figé dans une présentation sculpturale.

Lauren Porter : une Ferrari sculptée en laine

Lauren porter, artiste basée à Londres, a créé « 12 miles of yarn » en 2006. Il s’agit de la réplique d’une Ferrari en grandeur nature et en laine rouge. Un exploit artistique qui attire l’attention et suscite la curiosité. Pendant 10 mois, aidée par sa famille et ses amis, elle a utilisé 20 kilomètres de laine répartis en près de 250 pelotes. Pour cette sculpture elle a enrobé une structure métallique reproduisant les élégantes lignes sportives de la voiture. Cette œuvre audacieuse, admirée autant pour ses lignes que pour la qualité des points, illustre sa capacité à combiner les contraires et à engager un dialogue entre tradition et modernité.

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Sculpture par Lauren Porter – 12 Miles of Yarn – Photo Daniel Farrell – Flickr

Passionnée par l’artisanat en tant que forme d’art, Lauren s’intéresse aux tensions entre matériau et sujet, jouant habilement avec les perceptions. Elle croit que l’optimisme et le savoir-faire sont essentiels pour insuffler une profondeur à son art. Actuellement, Lauren travaille sur une série d’oiseaux britanniques en patchwork et se forme à l’art-thérapie, tout en continuant d’explorer la fusion de l’artisanat et de l’art.

Erwin Wurm : l’absurdité de la surconsommation

Erwin Wurm, artiste autrichien né en 1954, est célèbre pour son travail de sculpture absurde faites à partir d’objets ordinaires dont la voiture. Sa série « Fat Car » réalisée entre 2001 et 2005 en témoigne. L’artiste présente des voitures « bouffies et obèses », créées à l’aide de mousse de polyuréthane et de polystyrène. Une critique de la surconsommation et de l’obsession matérialiste de notre société. Avec humour, Wurm met en lumière les dangers liés à notre désir incessant de posséder des objets toujours plus imposants.

L’artiste lance un appel à reconsidérer notre dépendance envers des biens matériels. comme illustré par une Ferrari décapotable rouge qui, selon lui, nécessiterait une cure d’amaigrissement. En 2021, il étend sa critique au numérique avec un NFT intitulé « Breathe In, Breathe Out ». Cette œuvre présente une vidéo en boucle d’une Porsche en 3D se gonflant puis se dégonflant. L’artiste poursuit ainsi sa réflexion artistique sur la consommation.

Damián Ortega : la voiture objet cosmique

Ortega incite les spectateurs à réfléchir sur l’interconnexion des pièces et la nature des objets de culture de masse. En utilisant des matériaux tels que l’acier inoxydable et le plexiglas, il met en lumière la complexité souvent méconnue de la voiture à travers la sculpture. Il questionne notre perception des objets du quotidien.

« Cosmic Thing » est une installation marquante créée par Damián Ortega, un artiste et sculpteur mexicain né en 1967 à Mexico, présenté à la 50 ème Biennale de Venise en 2002. Cette œuvre consiste en une Volkswagen Coccinelle de 1989 entièrement démontée et suspendue. Elle produit une illusion de légèreté et de mouvement.

La Coccinelle, symbole emblématique, a également été célébrée dans la culture populaire, notamment à travers le film de Disney « Un amour de Coccinelle » sorti en 1968, où le personnage principal possède des capacités extraordinaires. En déconstruisant ce modèle automobile, Ortega offre une nouvelle perspective sur une icône de notre époque tout en évoquant l’héritage culturel qui lui est associé.

Sculptures contemporaines : tensions entre tradition et modernité

La voiture, en tant qu’icône de la modernité, s’érige comme un élément dans le langage de la sculpture contemporaine. Par des œuvres audacieuses et subversives, les artistes transforment ce symbole de liberté et de consommation en un puissant vecteur de critique sociale.

À travers des pratiques de destruction, de reconstruction et de transformation, ces œuvres révèlent des préoccupations sur la surconsommation, l’identité culturelle et l’impact de la technologie. La sculpture devient un moyen puissant d’aborder des enjeux sociopolitiques, de mettre en évidence les tensions entre tradition et modernité, et d’encourager une réflexion sur notre relation avec les objets du quotidien. En reconsidérant ce symbole de la modernité par le prisme de l’art, la sculpture contemporaine continue de nous inviter à repenser notre place dans un monde en perpétuelle transformation.

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