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Le monde prend forme par la sculpture : le visible

La sculpture est partout ! La matière, le corps et la nature permettent d’explorer différents aspects de l’art et de la créativité. Remise en question du rôle de l’artiste face à la matière brute, exploration des possibilités de transformation du corps humain et mise en évidence de l’importance de l’art pour réfléchir à notre responsabilité envers la nature. Plus que jamais, les artistes questionnent la forme de ce monde à une époque de bouleversements. Par exemple montrer les processus mit en place par l’industrialisation afin de remettre en question les normes établies. Toutefois ces enjeux ne comprennent pas uniquement les arts. Les médias et même notre éducation laïque ou croyante façonne notre compréhension du monde. Chacun sera touché de façon différente.

La matière sculptée

« La sculpture est un art qui aide à donner une âme à la matière. »

Alberto Giacometti

La matière ou « l’âme à tiers » est ce qui existe indépendamment de notre esprit, elle a une forme, une masse. Elle est à la fois une contrainte pratique qui limite nos actions et un obstacle à la connaissance qui entrave notre compréhension du monde. Cependant, la matière est aussi le support de notre existence. Ainsi elle joue un rôle essentiel dans notre manière d’interagir avec le monde.

Des exemples de formes naturelles étonnantes
Des exemples de formes naturelles étonnantes : un cristal de Bismuth, les alvéoles d’une ruche, la régularité d’un dahlia, la structure d’un champignon

Nous avons décidé que les autres formes de vie comme les animaux, n’ont pas d’âme. Ils ne peuvent pas être intégrés dans le monde des humains. Cette croyance permet à l’humanité de tirer profit et même d’exploiter toutes les autres formes de vie. Cependant, il est important de reconnaître que la matière s’étend également à tous les aspects de la vie, offrant aux animaux et à leur environnement naturel un potentiel extraordinaire d’expression. Ils construisent des nids, des termitières, des ruches, des barrages, créant des formes uniques d’expression talentueuses et non dénuées de beauté.

Entre lien à la nature et également au monde de la matière, nous avons émergé des étoiles. Ces millions d’années d’évolution nous distingue aujourd’hui et nous relient également à toutes les autres formes de vie. Beaucoup d’artistes ont décidé de tourner leurs créations au delà du « juste beau » pour réfléchir ou interagir sur notre place.

La perspective philosophique de l’art

L’artiste Marcel Duchamp réfléchit à la notion d’intelligence en tant que capacité pour comprendre l’incompréhensible, y compris la dimension matérielle. Il remet en question la fonction créatrice de l’artiste et souligne que tout le monde peut créer quelque chose. Il considère les artistes comme des artisans, mettant en avant la dimension matérielle de leur travail. Son concept du « ready-made », présentant des objets du quotidien comme des œuvres d’art, a suscité des débats et lui a valu une renommée artistique. Pour Duchamp l’art est une démarche intellectuelle et conceptuelle. Il considère son travail comme une exploration des idées et des concepts.

Robert Barry, artiste américain, est surtout connu pour son travail dans le domaine de l’art conceptuel. Il explore la dématérialisation des œuvres d’art à travers des performances et des installations. Il utilise pour cela des médiums invisibles à l’œil nu tels que l’énergie électromagnétique, les gaz inertes et les radiations. En 1969, il réalise une exposition au cours de laquelle il choisi de fermer la galerie pendant toute sa durée, afin de démontrer que l’art ne peut pas se limiter à l’intérieur des murs, mais qu’il est quelque chose qui s’étend bien au delà.

Sculpter le corps humain

« Le corps, c’est bien simple, ils ne le touchent plus. Ils n’en ont, eux, que pour le puzzle cellulaire, le corps radiographié, échographié, scanné, analysé, le corps biologique, génétique, moléculaire, la fabrique d’anticorps. Veux-tu que je te dise ? Plus on l’analyse, ce corps moderne, plus on l’exhibe, moins il existe. »

Daniel Pennac « Journal d’un corps » – 2012

Peut-on changer et améliorer notre corps dès la naissance pour qu’il devienne une expérience sculpturale. Dans quelle mesure alors les avancées technologiques comme les machines, les prothèses et les implants peuvent-elles nous inspirer pour protéger et renforcer notre corps.

Ce corps, on en parle beaucoup. Mais concrètement on le voit comment le nôtre ? Et celui des autres qu’elle forme doit-il avoir ? Ce corps enveloppe qui nous accompagne jusqu’au bout pose là encore des questions sur sa « gestion » dans un monde de plus en plus peuplé. Un corps à sculpter, modifiable, adaptable ? La question reste ouverte et personnelle.

Un corps 2.0

Aujourd’hui, l’idée d’avoir un corps sain avec des capacités physiques améliorées est de plus en plus présente. Capable de surmonter les maladies, posséder des qualités esthétiques supplémentaires. Dans notre société centrée sur la performance, le corps est considéré comme imparfait, fragmenté et figé visuellement. Aujourd’hui, il est soumis à des exigences d’adaptation à des environnements extrêmes, parfois au détriment de sa santé. Il nécessite ainsi l’utilisation de dispositifs pour combler ses lacunes, des interventions pour être amélioré. Alors les accessoires deviennent indispensables pour définir pleinement l’être humain. Cette idée d’extension accessoirisée du corps permet également à chacun de se poser la question de la disponibilité et la diffusion d’informations très personnelles.

Victime de la mode ?

Le corps est une source d’inspiration pour les sculpteurs et autres artistes peintres créateurs de mode. Les corps sculptés à l’image d’une époque dans le respect et l’exigence des proportions. Celles-la même qui s’élargissent ou se réduisent au gré des tendances.

De la « Gibson Girl’ » sablier de 1910, à La « Soft Siren » des années 1930, en passant par la longiligne silhouette « Twig » des années 1960, La « Buff Beauty » des années 2000 avec sa tablette de chocolat. De Marilyn à Britney Spears en passant par Kate Moss, la femme est expériences et s’exécute. Le modelage du corps, terme en sculpture et en soin corporel, parle de transformation.

Une sculpture digitale créée avec Midjourney
Une sculpture digitale créée avec Midjourney

Le digital se sculpte aussi. Culture de la retouche, essor des selfies et des applications, filtres de beauté et obsession pour une perfection physique. Alternative à la chirurgie esthétique ou accentuation du complexe de soi que l’on n’ose pas assumer ?

Le corps comme mode d’expression

Les représentations de corps nus dans l’histoire de l’art ont varié en fonction des époques et des mouvements artistiques. Initialement associé à la beauté morale et à la virilité, le nu masculin a été suivi par la représentation du nu féminin. Les artistes de la Renaissance ont adopté les canons de beauté gréco-romains, tandis que les artistes modernes ont exploré des styles et des sujets plus expressifs. Aujourd’hui, les corps nus dans l’art contemporain remettent en question les normes traditionnelles de beauté et explorent des questions d’identité et de sexualité. Certaines ou certains artistes vont par ailleurs très loin et utilisent leurs corps comme une oeuvre d’art, une sculpture et le récupère après la performance ou vivent avec.

Bruce Nauman par exemple dans les années 1970, inaugure une réflexion artistique autour de son propre corps. Le décomposant en morceaux et explorant l’anthropomorphisme. Il réalise de nombreuses performances vidéo dans lesquelles il se met en scène, questionnant ses mouvements. Il peut inviter les spectateurs à participer à ses performances, comme dans son installation intitulée « Le corridor » de 1969. Ils doivent parcourir un couloir exigu et observer leur propre corps sur un écran vidéo. L’artiste est aussi là pour faire questionner le spectateur pour aborder un état de mal-être et ou dénoncer la condition humaine de son époque. Corps-outil pour créer de la musique, altérer la perception du temps et de l’espace, et donner vie à ses sculptures, ses oeuvres s’inscrivent dans l’esthétique minimaliste des années 60 aux États-Unis. Corps-expression, qui donne une dimension nouvelle et provocante à son art.

D’autres changent et marquent leurs corps de façon intrusive. Ainsi ORLAN, par le biais de chirurgies esthétiques et d’altérations physiques, crée des œuvres provocantes qui interrogent les notions de beauté, d’identité et de genre. Elle refuse de ressembler à une vénus. Son approche controversée et percutante suscite des débats et alimente la réflexion sur l’art et le corps.

Entre chirurgie et application virtuelle il y a le tatouage une pratique ancienne et universelle pourtant proscrite au Moyen-âge par l’église. Considéré actuellement comme un acte de révélation et d’affirmation de son identité, allié de la personnalisation de son enveloppe corporelle. Comme le pratiquait d’ailleurs déjà des ethnies naguère considérées comme barbares.

Le corps objet

Moins invasif il y a l’objet ou accessoire sculpté par des créateurs. Il nous permet de sculpter notre position, changer notre forme. Les chaussures à talons qui modifient la cambrure, les gestes induits par les téléphones portables, long manteau ou veste courte et rebelle, coupe ajustée ou ample, marque référence de classe sociale. L’habit sculpte mais fait-il le moine ?

Intégrés dans les sculptures hyperréalistes, les vêtements et les objets réels moulés à partir d’une sculpture modèle créent alors une illusion de réalité. Courant artistique des années 1960, l’hyperréalisme cherche à perturber notre perception de la réalité. Il modèle des corps, joue avec les proportions, met en scène une banalité assourdissante, pour remettre en cause nos notions de vraisemblance. Objets d’art ou êtres vivants, cela engendre en conséquence un sentiment d’inconfort et de confusion chez l’observateur. Pour découvrir d’autres artistes, vous pouvez cliquer sur ce lien pour lire l’article du blog sur l’hyperréalisme.

L’artiste Ron Mueck excelle dans sa représentation presque clinique des corps. Il remet en doute notre notion de réalité avec ces sculptures dérangeantes, vieillissantes, accentuées par leurs dimensions anormalement exagérées.

Sa vision pessimiste de l’humanité nous confronte sans détour à l’existence. Avec tout de même moins d’ironie que son contemporain hyperréaliste également, Duane Hanson et ses sculptures de pousseurs de caddies. Lui, met en lumière les travailleurs de la classe ouvrière souvent dévalorisés et invisibles.

Les prothèses : de nouvelles sculptures du corps
Les prothèses : de nouvelles sculptures du corps

Le corps prothétique

En tant qu’être humain, l’homme a cette capacité unique de sculpter et de créer ce qui n’existe plus ou ce qui est manquant. Que ce soit des membres du corps ou des outils pour faciliter la vie quotidienne, l’homme exprime sa capacité à surmonter les obstacles et trouver des solutions créatives face à l’adversité.

Aimée Mullins, utilise des prothèses pour retrouver sa mobilité. Non seulement pour devenir une athlète handisport talentueuse mais également être reconnue pour sa beauté. L’histoire nous montre également que cette capacité à sculpter ce qui manque existe depuis longtemps. Les Égyptiens, il y a environ 3 000 ans, fabriquaient déjà des prothèses. Ils étaient capables de créer des répliques des parties manquantes du corps.

Jeanne Poupelet est une sculptrice qui a fabriqué des prothèses pour les soldats défigurés à la fin de la Première Guerre mondiale. Elle a utilisé son talent artistique pour redonner un « visage » à ces soldats. Cliquez sur ce lien pour lire une anecdote à son sujet.

Malgré tout, nous ne pouvons que ralentir le processus du temps physiologique.

La nature en sculpture

Certains artistes-sculpteurs essaient de nous sensibiliser à notre vulnérabilité face à la surabondance des produits fabriqués en masse et à l’exploitation continue des ressources naturelles dans notre société moderne. L’arbre revient souvent. Il intrigue. Sa version souterraine de lui-même, constituée de son réseau de racines lui permet de puiser une énergie invisible pour permettre à la partie aérienne et donc à la vie de s’épanouir. Métaphore pour les hommes de développer leur intériorité plus que l’apparence.

L’arbre symbole

Il tient une place primordiale en sculpture en raison de sa symbolique de vie, de régénération et de connexion entre le ciel et la terre. Lorsque nous avons du temps libre, les parcs verdoyants sont envahis par des visiteurs en quête de ressourcement et d’air frais. L’arbre, symbole de force et d’adaptabilité, incarne la vie et la force de manière universelle.

Fabien Mérelle, artiste français, crée « Tronçonné » une œuvre où un homme endormi se transforme en tronçons d’arbres, symbolisant le retour du naturel. Les morceaux de bois représentent les arbres abattus par l’homme, exprimant la préoccupation de l’artiste envers la déforestation. L’œuvre invite donc à réfléchir sur les conséquences de la maltraitance des arbres en nous mettant à leur place. Dans ses œuvres, Mérelle inclut des éléments naturels inhabituels, tels que des oiseaux, un papillon ou un éléphant. Il crée ainsi un univers où l’homme et la nature coexistent harmonieusement.

Frans Krajcberg, artiste abstrait brésilien, utilise ses créations pour sensibiliser à la préservation de la nature, notamment de l’Amazonie. Pour lui, les matériaux qui l’inspirent ne sont pas pauvres, ils sont riches de beauté et témoignent de la destruction de la nature par l’homme. Krajcberg choisit des éléments naturels qu’il transforme pour les magnifier, tout en utilisant des codes artistiques détournés. Il cherche à transmettre son message et à partager sa révolte. Ses sculptures, qui crient comme des voix, attirent l’attention sur la fragilité de la beauté naturelle et l’importance de la préserver.

Sculpture par Tony Matelli - « Herbes Folles »
Sculpture par Tony Matelli – « Herbes Folles »

Les herbes folles

L’artiste américain Tony Matelli, né à Chicago en 1971, présente dans son œuvre intitulée « Weeds » (Herbes folles) des sculptures en bronze peintes. Ces sculptures représentent des pissenlits et d’autres herbes folles qui semblent avoir envahi l’espace blanc des musées. Ces plantes adventices, à la fois tenaces et fragiles, remettent en question la frontière entre la fiction et la réalité. Tony Matelli souhaite susciter une réflexion sur notre relation au vivant en plaçant le végétal au cœur même de l’institution. Cette série débutée en 1995 occupe une place centrale dans l’ensemble de son œuvre.

L’eau

Hans Haacke est un artiste qui met en scène des oeuvres dans le thème des problèmes environnementaux. Par contre il va au delà du constat. Il crée avec le réel. Son travail a été associé au mouvement du Land art, mais ses créations sont vues comme de nouveaux objets. Son oeuvre « Purification Plant » de 1972 joue sur le concept de catastrophe naturelle. L’artiste devient temporairement un acteur et apporte une solution concrète, un remède. « Condensation Cube », présente un cube en plexiglas rempli d’eau distillée. Les parois intérieures se réchauffent, créant de la buée, des gouttes d’eau et des traces sur les parois. Il met ainsi en évidence les impacts de la désertification due à l’industrialisation, tout en faisant un rappel face à des difficultés majeures d’approvisionnement en eau.

Sculpter le vent

Théo Jansen est un artiste cinétique contemporain dont le travail explore l’utilisation de la nature comme moteur de son expression artistique. Ses œuvres, les « Strandbeest » mettent en évidence la beauté et la puissance du vent, un élément insaisissable de notre environnement. Ses sculptures éoliennes monumentales capturent et transforment l’énergie du vent en un mouvement fluide et gracieux. Ces structures organiques et hypnotiques s’animent avec grâce et légèreté lorsqu’elles sont exposées au vent. Chaque jour, le vent apporte une dimension imprévisible à ses créations, rendant chaque interaction unique. L’expérience esthétique que procure ces sculptures éoliennes est intimement liée à la nature. Elles nous font prendre conscience de la présence de forces puissantes d’une beauté qui échappe à notre compréhension. Elles nous poussent ainsi à préserver et à apprécier la nature qui nous entoure.

Quand la nature est œuvre et cadre

Dans les années 1970, le Land Art, explore de nouvelles voies artistiques en utilisant des matériaux bruts ou en puisant dans le paysage. Certains de ces artistes ne font pas forcément un art « écologique ». Par exemple les « earthworks » (terrassements) sont des œuvres imposantes ayant nécessité des équipements de construction et des modifications durables du paysage. L’oeuvre « Double negative » de Michael Heizer illustre bien ce fait. Leur but est de sortir l’art des musées. Un autre courant au sein du Land art se rapproche de l’art éphémère, utilisant des matériaux naturels, bois, galets, feuilles, neige, etc, directement mis en scène dans la nature. Par contre il ne reste que les photographies pour les inscrire dans le temps.

Ces artistes mettent en évidence notre fragilité, celle de la nature et notre impact sur celle-ci. Elles ne délivrent pas de message spécifique mais invitent les spectateurs à réfléchir sur leur propre perception ainsi que sur notre place en tant qu’êtres humains.

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