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Sculpture et art contemporain : ça se mange ? – 2ème partie

L’art contemporain ne cesse de se renouveler et de surprendre. Il se manifeste même dans des formes peu conventionnelles telles que la sculpture en chocolat, en sucre ou en sel. Ces matériaux gourmands et éphémères offrent aux artistes un espace de créativité sans limites, permettant de questionner la nature de l’art et de l’esthétique. Découvrons alors ensemble comment des artistes tels que Patrick Roger, Shinri Tezuka, Kara Walker, Christian Boltanski et Motoi Yamamoto repoussent les frontières de la sculpture contemporaine à travers l’utilisation de ces matières singulières. Suivez-nous pour une plongée dans un monde où l’art se déguste autant qu’il s’admire.

Le Chocolat devient œuvre d’art

Le chocolat, matière à la fois sauvage et unique, est bien plus connu en gourmandise. Mais dans l’art il suscite la question de savoir également s’il doit être sculpté ou moulé et ainsi nous permettant de le manger avec les yeux. En effet, travailler le chocolat ne se résume pas à le sculpter, il s’agit plutôt de le modeler. Se confronter à cette matière sensible qui offre une multitude de possibilités créatives. Tout comme un architecte conçoit une structure avant de lui donner forme, travailler le chocolat est un processus de construction et d’élévation.

La sculpture en chocolat met aussi l’accent sur le rôle du fondeur, un terme issu du latin « fundere » signifiant couler. Au 17ème siècle, l’expression « fondu la cloche » signifiait la conclusion d’une affaire. Le fondeur avait la charge de fondre des statues en bronze, des canons et des cloches, une profession prestigieuse. À partir du 18ème siècle, et surtout au 19ème siècle, le fondeur était également responsable de la fonte en fusion. Une image fascinante que celle du chocolat en fusion travaillé par un maître fondeur pour créer des merveilles.

Le pouce gourmand de César

À l’occasion de l’exposition rétrospective de César au Centre Pompidou en 2018, Ladurée a revisité le célèbre pouce du sculpteur marseillais en le transformant en chocolat. À l’origine « Le Pouce de César », est une sculpture en fonte de douze mètres de haut et pesant dix-huit tonnes. Son inauguration a eu lieu en 1994 à la Défense. Cette œuvre fait partie d’une série sur les empreintes humaines créée par l’artiste.

César est connu pour son utilisation innovante de différents procédés artistiques, tels que le moulage, l’assemblage, la compression et l’expansion. Il a notamment réalisé des agrandissements de moulages anatomiques, dont son célèbre pouce. Il a utiliser pour cela différents matériaux comme le sucre, le marbre, le cristal et même l’or. Sa vision artistique repose sur la beauté organique de la matière. Chaque matériau offre une diversité de possibilités artistiques. Découvrez un peu plus cet artiste dans l’anecdote « Un titre pour César ».

Au cœur de l’exposition du centre Pompidou un pouce de 40 cm en résine orange rappelle un bonbon. Cela faisant référence aux pouces en sucre et en verre que César avait également créés. Une autre manière d’apprécier l’œuvre de l’artiste : une série, limitée dans le temps, de pouces en chocolat de chez Ladurée.

La sculpture en chocolat de Patrick Roger

Devenu un élément essentiel dans de nombreuses sculptures, le chocolat reflète un véritable vocabulaire artistique. Cette matière incite l’artiste à puiser dans sa créativité et son travail acharné pour créer des pièces uniques.

Patrick Roger est un artiste français reconnu à l’échelle mondiale pour son expertise dans la création de sculptures en chocolat. Il possède un talent inné et une véritable maîtrise de la matière. Pourtant il n’a suivi aucun cours formel dans le domaine de l’art. Son travail l’a conduit à remporter le prestigieux concours du Meilleur Ouvrier de France en chocolaterie en 2000. Il s’est ensuite rapidement fait un nom grâce à ses remarquables sculptures en chocolat. Ses œuvres témoignent de sa vision du monde à la fois folle et sensible. Chaque œuvre, empreinte d’émotions et d’une texture inédite, résulte de son utilisation unique du chocolat comme matière maîtresse. Patrick Roger travaille avec les meilleures fonderies pour garantir des résultats impeccables.

Après quinze ans à travailler cette matière vivante, il décide de passer à la vitesse supérieure. Il expose une cinquantaine de ses sculptures à la galerie Nikki Diana Marquardt à Paris. Ses œuvres monumentales en chocolat et en métal, telles que ses « Oreilles d’éléphants » ou son gigantesque sapin de Noël de 4 tonnes, impressionnent par leur taille et leur complexité.

Passionné par l’instinct et inspiré par tout ce qui l’entoure, il se définit comme un sculpteur qui possède son propre monde. Le chocolatier a d’ailleurs exposé des dizaines de sculptures en bronze, aluminium et argent chez Christie’s à Paris. Ces œuvres représentent des animaux sauvages, des têtes de singes et même des portraits. Elles ont toutes été initialement réalisées en chocolat avant d’être transformées en métal. Malgré ce changement de matériau, l’artiste conserve son originalité et sa créativité.

Le sucre à l’œuvre : douceur, créativité et histoire

Dans l’art avec du sucre, voici une histoire datant du 16ème siècle à propos de Henri III, roi de France. En voyage à Venise, le roi se voit offrir un déjeuner exclusivement de sucre. « Les nappes, les serviettes, les assiettes, les couverts, le pain étaient de sucre, d’une imitation si parfaite, que le roi demeura agréablement surpris, lorsque la serviette, qu’il croyait de toile, se rompit entre ses mains.[…] ». Par ce trompe-l’œil, le sucre revêt son caractère appétissant, esthétique, ludique. Toutefois il est également le témoin, la mémoire d’une histoire difficile et sombre.

Amezaiku, l’art de sculpter les animaux en sucre

Des sculptures à manger ! L’Amezaiku est une tradition ancestrale japonaise datant de plus de 1200 ans et originaire de Chine. Nous sommes bien loin de la simple fabrication de sucettes ordinaires. À 26 ans, Shinri Tezuka est devenu un maître incontesté de l’Amezaiku. Il apporte une touche de modernité et de magie à cet art millénaire. Il révolutionne cette forme d’art en créant des sculptures en trois dimensions uniques et originales. Inspiré par les artisans, il se démarque en privilégiant l’innovation et la qualité de ses créations.

Contrairement aux Amezaiku traditionnels, ses sculptures offrent une perspective photographique et un jeu de lumière inédit. Shinri Tezuka a choisi de s’éloigner des modèles traditionnels pour offrir aux spectateurs une expérience visuelle et esthétique différente. Son talent d’artiste du sucre lui permet de sculpter des créations étonnantes, telles qu’un cheval au galop ou un poisson rouge dansant. Son travail soutient la comparaison avec des sculpteurs bouddhistes, révélant une maîtrise exceptionnelle de la technique de sculpture sur sucre.

Un technique ancestrale

Les techniques qu’il a apprise de manière autodidacte s’appuient sur des savoir-faire anciens. Elles ont été réinterprétées pour correspondre à l’époque actuelle et attirer un public jeune. Pour réaliser ces délicieuses créations, il commence par la fabrication d’un bonbon gluant en mizuame. En utilisant une technique spécifique, il chauffe un mélange de sirop de sucre et d’amidon à 90° jusqu’à obtenir la consistance souhaitée. Puis il façonne une boule de cette matière brûlante avec mes mains, malgré la douleur que cela induit. Cet « œuf » sera la base de ses créations.

Ses seuls outils : une paire de ciseaux japonais ainsi que ses compétences artistiques. Malgré la chaleur intense, il modèle la pâte sucrée en la découpant, l’étirant, et la tordant, uniquement avec ses ciseaux et son habileté. Si le résultat final est contemporain, ses gestes demeurent fidèles aux artisans qui travaillaient sur les marchés au 17ème siècle.

Une manipulation continue

Contrairement à la technique occidentale qui consiste à découper chaque pièce séparément avant de les assembler, l’amezaiku japonais implique une manipulation continue de l’œuf en cours de création. Cela permet ainsi aux figures de prendre forme de manière spectaculaire et créative. Cette approche allie habilement traditions anciennes et techniques modernes pour captiver un public jeune et contemporain. Chaque geste est réfléchi, précis, et chaque détail compte.

L’Amezaiku est un art qui demande une grande patience, de la persévérance et une grande maîtrise de soi. Les artisans doivent être capables de rester concentrés pendant de longues heures pour obtenir le résultat parfait. C’est un art de la sculpture qui demande de la pratique et de l’expérience, mais aussi une grande passion pour créer de belles œuvres…à manger !

Kara Walker, mémoire et race dans l’histoire américaine

Kara Walker, est une artiste engagée qui continue de secouer les consciences à travers son art provocateur. Elle crée en 2014 une sculpture monumentale en sucre intitulée « A Subtlety or Marvelous Sugar Baby ». C’est une réflexion sur l’esclavage et la production de sucre, matière première qui a été au cœur de l’économie esclavagiste. L’œuvre interroge les conséquences de cette histoire sur la société contemporaine. Découvrez cette artiste à travers le podcast « L’artiste Kara Walker fait la lumière sur les ombres de l’esclavage ».

Cette œuvre monumentale a été réalisée dans l’ancienne raffinerie de sucre Domino à Brooklyn. Dans ce grand hangar désaffecté destiné à la démolition, la sculpture de femme noire de 23 mètres de long en position de sphinx, occupait tout l’espace. Réalisée en polystyrène et enduite de sucre, matière à manger, cette sculpture crée un effet saisissant. Entouré de quinze figures de jeunes porteurs, le monument représente les anciens esclaves des plantations du Sud des États-Unis. Ces sculptures, fabriquées en résine et recouvertes de mélasse, fondent progressivement à la chaleur et suintent des marres de liquide collant.

L’histoire des travailleurs de la canne à sucre

Derrière cette œuvre se révèle les liens avec l’histoire de l’esclavage et l’exploitation des travailleurs agricoles dans l’industrie sucrière. Le projet suscite une vive polémique, certains le considérant comme une véritable provocation et une offense envers la mémoire des esclaves, tandis que d’autres y voient une façon artistique de mettre en lumière une partie sombre de l’histoire américaine. Le débat tourne autour des questions de représentation, de respect et de réconciliation.

Malgré les réactions négatives, l’œuvre est exposée dans un musée d’art contemporain, attirant de nombreux visiteurs curieux de voir cette création controversée. Au final, le sphinx divise les opinions, mais soulève des questions importantes sur la manière dont l’art peut aborder des sujets sensibles et douloureux de l’histoire.

Le monument évoque de manière poignante l’histoire tragique des esclaves africains qui ont été forcés de travailler dans des conditions inhumaines. L’effet visuel du sphinx entouré de ces sculptures en train de fondre crée une ambiance sinistre et dérangeante, mettant en lumière la cruauté et la violence de cette période de l’histoire. Le travail artistique et symbolique réalisé par l’équipe de vingt personnes souligne l’importance de se souvenir de ces événements tragiques et de ne jamais oublier les injustices passées.

Dans « A Subtlety », Kara Walker revisite l’histoire du sucre, en mettant en lumière le rôle des esclaves dans sa production. Elle utilise l’humour et l’exagération pour aborder un sujet sensible et douloureux. Son œuvre rend hommage aux personnes qui ont été exploitées et maltraitées au nom de cette industrie. Ce projet invite à une réflexion sur l’héritage colonial et esclavagiste, tout en célébrant la force et la résilience des communautés opprimées.

La mise en lumière des classes sociales

L’artiste Walker joue sur le décalage entre le titre de son œuvre et ses dimensions titanesques. La « Marvelous Sugar Baby » de Walker interroge les notions de race, de genre et de classe sociale tout en mettant en avant la résilience des communautés afro-américaines. Son travail captivant marque les esprits et les cœurs de ceux qui ont la chance de le contempler. L’œuvre fait également référence à des stéréotypes raciaux. La femme représentée rappelle « Aunt Jemima », le pendant féminin de « Oncle Tom ».

Faut-il y voir un hommage aux « mamies », ces esclaves africaines chargées de prendre soin des enfants des maîtres aux États-Unis ? Cette représentation d’une femme noire soumise mais souriante apparaît sur des boîtes de préparation pour pancakes à la fin du 19ème siècle. De plus en utilisant le sucre blanc plutôt que le roux, l’artiste détourne l’image de ce procédé de raffinage comme un symbole de la représentation de l’intégration à l’américaine.

Boltanski : fragmentation et reconstruction

Christian Boltanski taillait des morceaux de sucre en 1967 dans le cadre de son œuvre artistique. Ces morceaux de sucre faisaient partie de ses installations de « vitrines » de Ready-made, utilisés pour évoquer une enfance bourgeoise de manière fragmentaire. Ces objets étaient parmi les nombreux éléments utilisés par l’artiste pour créer des atmosphères et des installations évocatrices. En 1979 l’artiste publie le livre « Farce ». Chaque exemplaire numéroté et signé est accompagné d’un sucre taillé par l’artiste.

Boltanski cherche à retrouver les souvenirs de son enfance à travers ses œuvres artistiques, mais se confronte à l’échec et à la perte. Ses tentatives de reconstitution et de reconstruction de ses objets familiers se soldent souvent par des reproductions maladroites. Cette quête mélancolique et obsessionnelle marque une grande partie de son travail artistique.

L’artiste explore ainsi la construction d’une mythologie personnelle à travers des souvenirs faussés, mi-véridiques et inventés, mêlant habilement vérité et illusion. Ses œuvres mettent alors en scène des gestes quotidiens de son enfance réalisés par lui-même adulte, créant un effet étrange et poignant. Cette approche des souvenirs banals et peu glorieux soulève des questions sur la nature de la vie et de la mémoire, évoquant une profonde mélancolie.

Le Sel de la vie de Yamamoto

Né en 1966 à Onomichi (Préfecture d’Hiroshima), le plasticien japonais Motoi Yamamoto utilise le sel comme matériau principal pour exprimer la tristesse, la perte et le souvenir à travers ses créations éphémères. Motoi Yamamoto a eu une enfance pauvre et a du travailler très jeune. Après le décès de sa sœur en 1994, l’artiste a exploré de manière récurrente le thème du deuil et de la transition entre la vie et la mort.

Traditionnellement au Japon, le sel s’emploie lors des cérémonies funéraires. Il est commun de se jeter du sel dessus pour se purifier et éloigner les mauvais esprits avant de rentrer chez soi. Yamamoto a donc choisi de créer son propre univers en utilisant exclusivement ce condiment blanc pour renforcer la symbolique de ses œuvres.

Son approche artistique est unique. Il réalise des installations méticuleuses, notamment des labyrinthes gigantesques. Une de ses créations impressionnantes « Floating gardens » montre une tempête météorologique qu’il a recréé dans une tour médiévale à Aigues-Mortes, en France. Ces œuvres éphémères demandent des centaines d’heures de travail. Elles peuvent disparaître en quelques instants par un simple souffle de vent.

Les dessins complexes tracés dans le sel avec « Labyrinth » et les bulles créées par le mouvement de l’artiste dans « Floating gardens » symbolisent le processus complexe de la perte et du deuil. Cette pratique artistique rappelle également les mandalas de sable, une tradition spirituelle et artistique pratiquée par les moines tibétains. Cet aspect est d’ailleurs présent dans sa réflexion avec son projet « Return to the sea project ». Les visiteurs du dernier jour d’exposition se voient invités à rassembler le sel utilisé puis à le rendre à la mer.

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