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Érotisme et sculpture : un point de vue de l’homme

L’érotisme dans l’art prend de multiples formes et a une histoire complexe. Il a souvent servi de miroir aux désirs, cultures et normes sociétales. La sculpture se distingue par sa capacité de donner une dimension tangible et tridimensionnelle à l’érotisme. Chaque courbe et texture raconte une histoire de désir et d’intimité.

Dans l’article précédent, nous avons abordé un point de vue féminin de l’érotisme dans la sculpture. Dans cet article, nous nous intéressons à l’exploration de l’érotisme dans la sculpture contemporaine créée par des hommes. Nous chercherons à mettre en lumière les nuances de l’érotisme masculin dans l’art. Pour cela nous aborderons des œuvres qui oscillent entre provocation et introspection.

Des figures emblématiques comme Hans Bellmer, Philippe Hiquily ou Allen Jones transforment la matière en un langage visuel. Ils interrogent les conceptions traditionnelles du corps et du désir. Leurs créations explorent les intersections entre érotisme, identité et pouvoir, souvent en perturbant les conventions établies. Leur travail fournit un point de départ de discussion sur la manière dont le regard masculin façonne des représentations audacieuses et parfois controversées de l’érotisme dans l’art contemporain.

Cette exploration ouvre un dialogue nécessaire sur la manière dont le genre influence la création et la perception de l’érotisme dans l’art. Comment le regard masculin se compare-t-il au regard féminin dans la représentation du désir ? Comment ces œuvres reflètent-elles ou défient-elles les perceptions sociétales actuelles de la masculinité et de la féminité ? En engageant ces questions, cet article invite à une réflexion plus profonde sur l’évolution de l’érotisme dans l’art. Il appelle à une appréciation plus nuancée de sa diversité et de sa complexité.

Hans Bellmer : la rébellion érotique de la poupée

En 1934, l’artiste allemand Hans Bellmer crée « Die Puppe », une poupée grandeur nature à l’anatomie modulable. L’œuvre est faite de papier mâché et de bois. Il la photographie alors dans des poses dérangeantes grâce aux multiples jointures aux seins, ventre, genoux et épaules. À travers cette œuvre, Bellmer interroge les transformations du désir par le biais d’un corps re-conçu dans des positions anatomiques fantastiques. Sa poupée constitue une rébellion contre le nazisme et son ordre social. Elle devient pour lui un instrument d’exploration des désirs interdits et des fantasmes. Cette sculpture à l’érotisme intrigant est désormais exposée dans des musées prestigieux tels que le MoMA, la Tate, et le Centre Georges-Pompidou.

L’art de Bellmer mêle érotisme, surréalisme et subversion des normes. L’artiste exprime son malaise face à un monde agité. Il s’inspire de figures comme Jack l’Éventreur, ainsi que de mythes classiques et des œuvres d’artistes contemporains. Sa poupée évoque des thèmes personnels et sociétaux souvent jugés choquants. Il affirme son défi envers son père nazi et son adhésion aux idéaux surréalistes. Publiée dans le journal Minotaure la poupée devient une icône du surréalisme. Ce travail est à la fois révolutionnaire et provocateur. Toutefois, Bellmer doit affronter les critiques pour ses représentations controversées de la sexualité infantile. Malgré les accusations de déviance, Bellmer perçoit son art comme un acte de rébellion et d’introspection. L’artiste laisse une marque durable dans le paysage artistique de son époque. En transformant cette fillette-femme de papier mâché sur armature métallique en une « anatomie du désir » ambiguë et fantasmatique, il ouvre un champ libre à l’imagination.

Philippe Hiquily : Métal érotique

Philippe Hiquily présente des œuvres qui oscillent entre sensualité et irrévérence, des « réalités érotiques » selon le critique d’art Alain Jouffroy. L’artiste s’inspire de figures mythiques et préhistoriques comme la Vénus de Lespugue qu’il réinterprète avec une volupté moderniste et provocante.

À l’aide du métal l’artiste exprime des formes subversives et développe une iconographie érotique tout en défiant le conformisme. Ses sculptures emblématiques comme « Le Copulateur » en 1959 ou « La Motocyclette » en 1964 montrent une femme à la fois objet de désir et figure puissante.

Hiquily intègre des objets du quotidien dans ses œuvres comme « La Pelle » en 1954, « Karl » ou encore « l’Horloge » ou « la Femme » en 1962. Ses oeuvres érotico-mécaniques, telles que « Elle fait tourner la tête à M. Elias Howe Junior » en 1970 ou « Tac-Tac Bon » en 1990, reflètent un érotisme brut qui interroge les relations de pouvoir et de séduction entre les sexes. Il remet en question les codes traditionnels, invitant à repenser la sculpture avec un humour corrosif et une inventivité débordante. Découvrez cet artiste grâce à l’anecdote à lire ou à écouter en podcast : « Philippe Hiquily : un sculpteur de l’érotisme ».

Allen Jones : l’objet érotique

Allen Jones, artiste clé du pop britannique est membre de la Royal Academy depuis 1986. Il est célèbre pour un ensemble de sculptures controversées des années 1960. Les pièces « Chair », « Table » et « Hat Stand » réalisées en 1969 mêlent art et design. L’artiste y présente des mannequins féminins transformés en meubles, considérées par certains comme obscènes.

La sculpture « Chair » met en scène une femme le visage maquillé. Elle est allongée sur le dos, avec les jambes recroquevillées faisant office de dossier, un coussin sur l’arrière des cuisses. « Table » montre la sculpture d’une femme nue à quatre pattes, en bottes corset et gants. Elle fait face à un miroir au sol et a un plateau en verre épais sur le dos. « Hatstand », le support à chapeaux présente une sculpture de femme debout en bottes et culotte. Elle porte une courte chemise, ses bras sont en chandeliers afin d’y accrocher écharpe, chapeaux ou autres affaires. Chaque sculpture est une vision d’un érotisme, d’un fétichisme voire même sado-masochiste qui a choqué le mouvement féministe de l’époque.

Une provocation érotique qui dure

Leur exposition en 1970 a provoqué des débats enflammés, mais également sur les 30 années suivantes. Le point culminant a été en 1986 lorsque deux militantes ont aspergé la sculpture « Chair » de décapant. Ce fut en signe de protestation contre l’objectivation lors de la Journée internationale de la femme. Allen Jones visait à provoquer, mais ses intentions féministes sont questionnables. Ses sculptures ont atteint une valeur marchande élevée. Cela révèle un malaise persistant sur l’objectivation des femmes dans le contexte des luttes pour l’égalité des années 1970. Parmi ses admirateurs se trouve Stanley Kubrick. Ce dernier a même tenté de commander des œuvres pour le Korova Milkbar dans Orange Mécanique, mais sans vouloir les payer. Allen Jones a refusé, mais le réalisateur s’en est tout de même inspiré.

Jeff Koons dans tous ses ébats

En 1991, Jeff Koons présente la série « Made in Heaven » à la galerie Sonnabend de New York. Une collection audacieuse composée de 26 œuvres, incluant des photos, peintures et sculptures en marbre, bois et verre. L’artiste se met en scène avec la Cicciolina. Ces œuvres explorent des thèmes à l’érotisme explicite, avec une sculpture tels que « Dirty Ejaculation » ou « Blowjob ». La collection fait sensation et est perçue par Koons comme un véritable happening artistique. Elle choque au point que La Cicciolina s’est vu refuser son visa américain pour motifs de moralité.

Les réactions sont vives et l’âge minimum requis pour voir l’exposition est fixé à 17 ans. Aujourd’hui détenues par des collectionneurs privés, ces œuvres ne sont visibles que lors d’expositions temporaires, comme celles organisées au Whitney Museum et au Centre Pompidou. Lors de la rétrospective au Centre Pompidou, certaines pièces controversées étaient exposées dans une salle spéciale, réservée aux adultes et surveillée. Vingt-cinq ans après leur création, ces œuvres continuent de diviser, suscitant des débats sur la frontière entre beauté et vulgarité et illustrant la démarche provocatrice de Koons.

Jake et Dinos Chapman : érotisme violent et dérangeant

Les frères Jake et Dinos Chapman défient depuis les années 1990 les tabous sociaux. Ils utilisent pour cela le dessin, la sculpture et leurs installations. Leurs œuvres provocantes sont marquées par un humour cynique. Cela inclut le vandalisme des gravures de Goya et l’installation frappante intitulée « Fucking Hell » en 2008, qui explore les limites de la morale. Ils sont emblématiques du mouvement Young British Art. Plusieurs de leurs créations figurent dans la Collection Pinault, comme les sculptures « Fuck Faces » en 1994 et « Cock-shitter » en 1997. L’œuvre « Fuckface Twin » de 1995, représente des jumeaux siamois mutants. Leurs nez sont remplacés par des pénis en érection et leurs bouches par des anus.

Ces réalisations mettent en avant des corps déformés, croisant hyperréalisme et éléments perturbants. Ils instaurent un malaise intense tout en invitant à réfléchir sur la sexualité. En juxtaposant l’innocence enfantine à des éléments grotesques, ils créent une tension érotique qui attire et défie le spectateur. Leur approche de la sculpture, chargée d’ironie, remet en question les normes sociales et nos perceptions de l’érotisme. Biogénétique et sexualité infantile, thème souvent tabou, sont abordés avec une sincérité troublante.

Les frères Chapman brouillent les frontières entre innocence et perversion. Cette étude des relations entre violence et innocence, couplée à une synthèse des stades de l’érotisme freudien, pousse à réfléchir sur la sexualité et la mort dans une société parfois insensibilisée. Ils interrogent non seulement les limites de l’humanité, mais aussi notre capacité à appréhender des thèmes complexes et souvent réprimés. Leur art vise à créer une esthétique d’inertie, d’indifférence et de détachement.

« L’art est une manière de transformer l’âme humaine, en lui donnant constamment de nouvelles formes. »

Marc Quinn : la beauté contemporaine métamorphosée

L’artiste contemporain britannique Marc Quinn explore le corps humain. Tout en abordant des thèmes comme la mortalité et la beauté il traite de sa capacité à changer, sa présence physique et son impact culturel. En 2006, il réalise « Sphinx », une sculpture grandeur nature de Kate Moss en pose de yoga complexe. L’artiste la décrit comme une « Vénus nouée » de notre temps. Dans « The Selfish Gene » en 2007 il montre deux squelettes en bronze en plein acte sexuel. Cette œuvre véhicule le symbole de la réussite ou de la finitude d’une société obsédée par le selfie, même après avoir passé l’arme à gauche. Marc Quinn présente en 2008 « Siren », une statue en or 18 carats de Kate Moss commandée par le British Museum, exposée près d’une statue d’Aphrodite.

Fabrice Hyber : le désir dans un mètre cube

« La bouche, fontaine de toutes les douceurs amoureuses ». Ainsi la décrivait le moine bénédictin Agnolo Firenzuola vers 1540, inspirant des artistes italiens comme Titien dans « La Vénus au miroir ». Le rouge intense des lèvres joue alors un rôle central dans la représentation de la beauté, se détachant sur la clarté de la peau.

Cet héritage trouve une résonance contemporaine avec « Un mètre cube de Beauté », œuvre de Fabrice Hyber présentée en janvier 2013 au Palais de Tokyo. L’artiste transforme l’emblématique Rouge Pur Couture n°1 de Yves Saint-Laurent en un cube d’un mètre de cotés. Ce cube offre une perspective nouvelle sur un objet, présenté dans un contexte inattendu et à une échelle bien plus grande que d’habitude. Il souligne le rouge à lèvres comme un symbole persistant de sensualité. L’œuvre surprend visuellement, mais également joue sur le sens olfactif. On remarque rapidement en effet que le fameux bloc diffuse dans toute la salle une odeur terriblement féminine. L’érotisme de cette sculpture est subtil. Fabrice Hyber nous propose une expérience sur la question du corps, de l’intimité et du désir.

Antoni Miro : la promenade explicite d’œuvres antiques

Antoni Miro a déclenché une polémique en Espagne en 2018. Sur la promenade maritime de Valence les œuvres de sa « Suite Erótica » sont exposées représentant explicitement des scènes de sexe. À 74 ans, Miro, habitué à représenter des nus, a invoqué l’histoire de l’art en comparant son travail aux vases de la Grèce antique ornés de scènes érotiques. Selon lui, beaucoup considèrent son art comme « normal » et non choquant pour les enfants. Il qualifie surtout les parents dérangés de « rétrogrades ».
Le lieu d’exposition a été jugé inapproprié par certains, en raison de sa fréquentation par des familles avec enfants. L’association conservatrice Forum de la famille a exprimé ses préoccupations. Elle déplore que des œuvres représentant des fellations et des masturbations, visibles avec parties génitales et pratiques sexuelles, soient montrées sur la voie publique. Elle craint que l’exposition ne viole la loi sur la protection des mineurs en exposant les jeunes à des scènes jugées inappropriées pour leur âge sans avertissement préalable.

Jan Fabre : sacrée provocation

Artiste et metteur en scène belge subversif, Jan Fabre a présenté en 2018 à la galerie Daniel Templon une installation provocante alliant éléments profanes et sacrés. Dans la série « Folklore sexuel belge(2017-2018) Mer du Nord Sexuelle Belge (2018) » des symboles religieux y côtoient des représentations érotiques. Sa création, qui comprend des « coquillages d’où sortent des sexes plus ou moins en érection » et une « croix géante sur laquelle des pénis semblent s’agglutiner comme des moules sur un rocher », célèbre la vie et les désirs dans une approche surréaliste. En plus de cette provocation visuelle, Fabre s’attaque aux puissants et aux institutions. Il vise notamment la religion tout en se posant comme un « combattant de la beauté ». L’artiste affirme que sa vision de la beauté va au-delà de l’esthétique. Elle englobe une dimension éthique et la protection de la vulnérabilité humaine, un principe fondamental de son art.

James Colomina : église, sexe et scandales

James Colomina présente en 2024 une œuvre en échos du scandale sexuel concernant l’abbé Pierre. « Silentium » donne à voir l’abbé Pierre drapé sous un linceul, et prit d’une érection explicite. Exposée dans l’église désacralisée du Gesù à Toulouse, cette installation artistique est entourée de chants religieux en latin et n’est visible que durant deux jours.

La controverse émerge du choix audacieux de Colomina d’aborder les scandales d’abus sexuels attribués à l’abbé Pierre. Cette figure emblématique décédée en 2007 a fondé Emmaüs, mais des témoignages font état d’actes répréhensibles. L’érotisme de cette sculpture est démonstratif, subversif. Colomina critique le manque de transparence persistant de l’Église catholique et souligne les cicatrices indélébiles présentes dans la mémoire collective.

Colomina a longtemps considéré les symboles sacrés comme intouchables. L’artiste remet en question ce dogme. Il choisi le blanc sobre à son rouge d’alerte habituel, pour ainsi favoriser la contemplation et la méditation silencieuse. Son intention est de provoquer des discussions et de pousser les spectateurs à explorer les secrets troubles de l’Église et à engager un débat sur ces questions cruciales. Malgré des critiques virulentes, l’artiste a atteint avec succès son objectif de ne laisser personne indifférent.

Réflexions sur l’érotisme : vers un dialogue nuancé entre regards masculins et féminins

La contemplation de l’érotisme dans la sculpture, particulièrement dans les œuvres réalisées par des hommes, nous pousse à un questionnement profond sur le regard masculin en opposition au regard féminin de l’érotisme. L’article met en lumière plusieurs artistes masculins qui ont exploré ces thèmes avec audace et créativité, souvent en subvertissant les normes sociales et culturelles. Il est essentiel de reconnaître que le regard masculin a longtemps dominé l’histoire de l’art. Cela a contribué à la construction d’un érotisme selon des paradigmes qui répondent principalement aux désirs et aux perspectives masculines.

L’œuvre de Hans Bellmer, par exemple, avec sa poupée modulable, questionne les conventions traditionnelles du corps féminin en tant qu’objet du désir et soulève des interrogations sur le contrôle et la manipulation. D’autre part, des artistes comme Allen Jones et Philippe Hiquily expriment une tension évidente entre l’objectivation et la célébration de la féminité, souvent perçues à travers un prisme masculin.

Émergence du regard féminin

Cependant, le débat ne peut se limiter à une simple opposition entre regard masculin et féminin. Il doit explorer comment l’érotisme est représenté, interprété et ressenti différemment selon le genre. Les artistes contemporains, hommes ou femmes, réinterrogent ces perspectives en introduisant des narrations plus complexes. Ils et elles ne se limitent pas aux visions traditionnelles de la masculinité ou de la féminité. Des artistes féminines comme Louise Bourgeois ont travaillé à déconstruire le regard masculin. Elles créent des œuvres qui incarnent un érotisme viscéral, introspectif et souvent lié à l’expérience personnelle de la féminité. Une artiste comme Alexandra Bircken utilise des objets à priori du domaine masculin, pour en faire l’éloge d’un vide, d’une cavité très féminine.

Les artistes masculins présentés dans l’article utilisent l’érotisme en sculpture pour provoquer, déranger ou subvertir. L’émergence de perspectives féminines dans l’art érotique offre une contrepartie nécessaire éclairant des aspects du désir et de la sexualité rarement explorés auparavant. Cela ouvre la voie à une compréhension différente, proposant un niveau de lecture dépassant les simples besoins primaires.

Il est crucial d’engager un dialogue autour de la manière dont le genre influence la création et la réception de l’art érotique. Ce débat invite les spectateurs et les artistes à réfléchir à la riche mosaïque de perspectives qui composent notre compréhension collective de l’érotisme. En reconnaissant et en valorisant ces multitudes de regards, l’art peut continuer à évoluer et à s’exprimer d’une manière qui inclut toutes les facettes de l’expérience humaine. Le dialogue entre ces diverses visions est non seulement essentiel pour l’art, mais aussi pour notre compréhension des relations humaines et de la nature complexe du désir.

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