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Érotisme et sculpture : un point de vue de la femme

L’érotisme en sculpture stimule les sens et provoque des émotions. À travers les siècles, artistes peintres et sculpteurs ont fait bouger les lignes, souvent en créant des œuvres jugées scandaleuses. Le nu académique, majoritairement féminin, suscite des interrogations sur ses origines historiques. Les artistes femmes apportent une perspective unique sur l’érotisme. L’Église a parfois freiné ou inspiré ce type de création. Avec le féminisme le corps féminin s’est certes libéré, mais également un état d’esprit, un regard.

Ce deuxième article sur l’érotisme en sculpture s’intéresse à la sexualité dans l’art contemporain d’un point de vue plus féminin. Dans le domaine de la sculpture, l’érotisme est souvent exploré à travers des perspectives complexes et nuancées. Les femmes artistes remettent particulièrement en question les préceptes traditionnels de la sexualité et du genre. Cet article examine comment des figures emblématiques telles que Louise Bourgeois, Sigalit Landau, Carolee Schneemann, et d’autres, exploitent la sculpture et la performance pour revisiter et redéfinir le concept de l’érotisme.

En intégrant des matériaux et des formes peu communes, ces artistes repoussent les limites de la représentation du corps. Elles explorent sa plasticité, sa fragilité, et sa résilience. À travers des œuvres emblématiques l’érotisme devient une plateforme d’engagement politique et social, transcendant la simple provocation visuelle. Ces artistes emploient leurs créations pour aborder les dynamiques du désir et de la douleur. Elles engagent également un dialogue sur la domination, l’intimité, et les identités intersectionnelles.

Ce panorama explore les dimensions subversives et profondément personnelles de leur travail. Ainsi il nous offre une compréhension enrichie de l’érotisme en sculpture comme un miroir de luttes et de transformations culturelles.

Louise Bourgeois : l’ambiguïté de la « Fillette »

Le travail de la sculptrice Louise Bourgeois explore des thèmes tels que le corps, la mémoire et la dualité des genres. Elle célèbre le corps comme sculpture et puise dans son passé pour créer des œuvres troublantes et introspectives. Ses sculptures mixtes de phallus, de mamelons et de vulves deviennent des expressions de ses traumatismes d’enfance et de son identité.

En 1968 Louise bourgeois crée la sculpture « Fillette ». Elle superpose du latex sur du plâtre et obtient une texture charnue et tactile pour cette sculpture suspendue. Bien qu’elle représente de manière évidente un phallus, l’œuvre représente également un torse féminin, comme le suggère le titre. Dans cette interprétation les deux formes rondes représentent le haut de deux jambes, s’attachant à leurs articulations de hanches. Cette fusion des genres crée une ambiguïté. Elle même appuyée par les qualités duales de puissance érigée et de vulnérabilité fragile de l’œuvre.

« D’un point de vue sexuel, je considère les attributs masculins comme très délicats. » Louise Bourgeois

Sigalit Landau : sensualité et géopolitique

Depuis plusieurs années, Sigalit Landau, artiste d’origine israélienne, développe un travail empreint de politique, axé sur les notions de frontières, de corps, d’invisible et d’identité.

Sigalit Landau - Barbed Hula
Sigalit Landau – Barbed Hula – Photo Karen Bryan – Flickr

« Barbed Hula » crée en 2001 provoque une tension entre plaisir et douleur. Dans cette performance l’artiste danse nue sur une plage d’Israël, un hula-hoop en fils barbelés autour de la taille. Elle joue ainsi sur les interprétations symboliques de la sexualité et des frontières géopolitiques. Même si les pics des fils sont orientés vers l’extérieur l’impression de douleur et de transe est bien présente. La chair devient ainsi le centre d’un discours plus vaste sur la sexualité. Il aborde la douleur et le désir au-delà de la simple érotisation.

Carolee Schneemann : le pouvoir subversif de la nudité

Carolee Schneemann transcende le simple exposé de corps dénudé avec ses performances. La nudité devient un acte de contestation contre les conventions établies. Dans « Interior Scroll », Schneemann utilise la nudité à des fins esthétiques. Mais aussi pour remettre en question les normes entourant la sexualité et la représentation féminine. Elle exhibe son corps tout en articulant un discours critique sur le monde de l’art.

Performance de Carolee Schneemann
« Interior Scroll » Performance de Carolee Schneemann – Photo J-No – Flickr

L’artiste défie ainsi l’idée du corps féminin uniquement vu comme un objet de décoration soumis au regard masculin. Sur scène, Carolee Schneemann se couvre de boue adopte des poses rituelles. Elle extrait un parchemin de son vagin pour le lire, un geste intime et provocateur. Cette performance s’inscrit dans le contexte des années 1970. Le mouvement féministe à cette époque cherche à redéfinir le rôle et la représentation des femmes dans l’art. Cela soulignant l’importance du corps comme source d’imagination et de pouvoir créatif féminin.

Barbara T. Smith : embrassez moi ou vous voulez

En 1977, Barbara T. Smith, alors âgée de 46 ans, réalise une performance marquante nommée « Pucker Painting ». Dans cette performance au Woman’s Building, elle se tient nue sur un socle, invitant le public à embrasser son corps. Des rouges à lèvres aux couleurs variées sont soigneusement disposés pour l’occasion. Cette œuvre interroge la liberté du corps et la manière dont il est perçu, tout en établissant un lien direct et physique avec le public.

Barbara T. Smith - Pucker Painting
Barbara T. Smith – Pucker Painting – Photo Danielle Zerd

Carole Douillard propose une relecture contemporaine de cette œuvre pour l’exposition « Sur tes lèvres » au Lieu Unique à Nantes en 2024. Elle invite Laurent Cebe, danseur et chorégraphe, à endosser le rôle initial de Smith. La Galerie The Box de Los Angeles soutient le projet en fournissant des archives de la performance originale de Barbara T. Smith. Un lien s’établit ainsi entre l’œuvre initiale et sa réinterprétation contemporaine.

Cette réinterprétation soulève des questions actuelles : comment sont perçus les différents types de corps dans la France d’aujourd’hui ? Quel impact a le changement de contexte et d’époque sur la signification de l’œuvre ?

Marina Abramović et Ulay : passage intime

Marina Abramović et Ulay utilisent la nudité dans leurs performances pour explorer les frontières entre l’intimité et la vie publique. Ils posent un regard particulier sur le corps nu et son contact. Avec « Imponderabilia », une performance de 90 minutes réalisée en juin 1977 à la Galleria Comunale d’Arte Moderna de Bologne, en Italie. Marina Abramović et Ulay se tiennent face à face de chaque côté de l’entrée principale du musée. Ils sont nus. Pour entrer les visiteurs doivent se glisser de profil dans l’étroit passage, vous pouvez voir une vidéo de la performance sur Youtube en cliquant ici.

Les artistes invitent ainsi le public à se confronter directement à sa propre perception de la sexualité et aux stéréotypes qui l’entourent. Il faut choisir : contre quel corps se frôler en premier. Cette simple décision se révèle riche en implications érotiques et psychologiques.

Découvrez cette artiste grâce à l’anecdote « Marina Abramovic, un art performance qui libère de la peur ».

Orlan : l’artiste vous embrasse

Orlan est réputée pour son « Art charnel ». L’artiste utilise son propre corps comme support principal de création. Elle interroge les standards de beauté par le biais de la chirurgie esthétique, axant ses performances sur la transformation physique. Ses œuvres visent à choquer, séduire et remettre en question la perception du corps féminin. En 1977, lors de la quatrième édition de la Foire Internationale d’Art Contemporain au Grand Palais de Paris, elle crée la controverse avec « Le Baiser de l’artiste ».

Cette installation interactive permet au public de choisir entre embrasser Orlan ou poser un cierge devant son autoportrait en sainte baroque pour cinq francs. À travers cette œuvre, elle met en scène les stéréotypes de la Vierge d’un côté et de la prostituée de l’autre. L’artiste dénonce ainsi les pressions exercées sur le corps des femmes et réaffirme le corps féminin comme matériau artistique. Malmenée par les critiques et perdant même son travail, Orlan maintient que son œuvre constitue un acte d’émancipation et de réflexion sur la marchandisation du corps. Ce geste audacieux est désormais reconnu comme l’une des performances les plus marquantes de l’histoire de la FIAC. Retrouvez cette artiste dans l’article « Du féminin au féminisme : un art de la révélation 3/3 ».

Sophie Calle : l’intimité partagée d’un lit inhabité

Fascinée par la frontière entre le privé et le public, Sophie Calle a eu une idée pour combattre sa peur de voir son lit vide. Elle a exposé pour cela « Les dormeurs ». Cette performance exprimait son intérêt pour la mémoire, l’absence et les traces, qui ont marqué sa carrière. L’artiste a invité 28 personnes à dormir successivement dans son lit pendant une semaine. L’idée était que son lit ne soit jamais vide.

Elle a demandé à ces personnes de venir dormir pendant huit heures. Elles acceptaient d’être photographiées et de répondre à quelques questions. Parmi les participants, il y avait des inconnus, des amis et même des gens du quartier, comme un boulanger venu dormir en journée. Ces personnes individuellement invités se sont retrouvés connectés par la même expérience dans ce lieu intime de rêve et de repos. Découvrez cette artiste dans l’anecdote « Sophie Calle : un voyage à travers la mémoire et l’absence ».

Nicola Costantino : zones érogènes à porter

L’artiste Nicola Costantino est reconnue pour ses sculptures en silicone et ses vêtements imitant des zones érogènes du corps humain. Ces approches visuellement sont déstabilisantes.

Artiste argentine multidisciplinaire, Nicola Costantino se distingue par sa perspective féministe, notamment la médecine et la couture, héritées de sa famille. Sa démarche artistique audacieuse combine mode, scénographie et éthique, comme l’illustre sa série « Peletería Humana » réalisée entre 1996 et 2003. Cette exposition présente des vêtements avec des motifs en relief distinctifs, tels que des robes de cocktail beige sable. Tout d’abord l’une décorée de motifs d’anus, avec manches longues et boa en cheveux humains. Ensuite deux autres sans manches, ornées de motifs de mamelons et de boas. L’ensemble est complété par un sac, des chaussures et un corset sur un tabouret.

Gaëlle Bourges : réflexion érotique entre art et réalité

Lors de la Nuit Blanche de 2007 à Paris, Gaëlle Bourges propose « Strip », une performance de strip-tease dans des cabines téléphoniques. Pour se faire, elle fait appel à 3 des ses collègues de théâtre érotique. En effet à cette époque Gaëlle Bourges, chorégraphe, est également strip-teaseuse pour compléter ses revenus d’intermittente du spectacle. Elle souhaite alors partager son expérience. Suite à cela, elle réalise en 2008 le projet « Je baise les yeux » afin de partager son expérience. Il s’agit d’une conférence/démonstration présentant les modalités, habitudes, savoir-faire du milieu du strip-tease. Elle souhaite également aborder les interactions entre le monde de l’art et celui de la pornographie.

Cette performance s’inclue dans le projet « Vider Vénus » regroupant trois pièces : « Je baise les yeux », « La belle indifférence » et « Le verrou ». Une confrontation entre l’art et la réalité des récits érotiques pour nous inciter à redéfinir notre compréhension de la féminité et de la sexualité. Ainsi nous pourrons reconnaître la profondeur et la complexité de ces expériences humaines partagées.

Alexandra Bircken : le volume de l’intime

Alexandra Bircken explore des thèmes tels que le corps, la domination masculine et les rôles de genre, tout en abordant la résilience et la vulnérabilité de manière personnelle. L’artiste réalise en 2013 « Trophy », un moulage en bronze d’un vagin. Elle réédite la sculpture en 2016, cette fois en acier nickelé pour un rendu plus masculin. Cette sculpture à l’érotisme captivant représente le sexe féminin à la foi de l’extérieur mais aussi de l’intérieur. Souhaitant dépasser les apparences, l’artiste lui donne ainsi un volume jusqu’ici réservé au sexe masculin. Elle présente la même année « Eva », sorte de sex-doll en bronze évoquant une selle de moto sexualisée et présentant un orifice accessible.

En 2014, elle présente « Quatre formes érectiles phalliques (Big, Ugly, Fat et Fellow) », dont l’acronyme B.U.F.F. évoque le bombardier américain B52 en usage dans les différentes guerres, depuis le Vietnam jusqu’à l’Irak. En 2024, elle crée « Glitch », une selle de vélo très suggestive évoquant des parties intimes. Ses œuvres variées déconstruisent symboles et orifices en redéfinissant les relations charnelles, tout en explorant les notions de genre, de pouvoir et de vulnérabilité.

Découvrez le travail de cette artiste dans l’anecdote « L’artiste Alexandra Bircken interrogation de la tension entre plein et vide ».

L’érotisme féminin sculpte l’intime

La relation complexe entre érotisme et sculpture, vue à travers le prisme des femmes artistes, offre une perspective unique et provocante sur les questions de genre, de sexualité et de pouvoir. Les œuvres de Louise Bourgeois, Sigalit Landau, Carolee Schneemann, Barbara T. Smith, Marina Abramović, Orlan, Sophie Calle, Nicola Costantino, Gaëlle Bourges et Alexandra Bircken révèlent combien ces artistes utilisent la sculpture et la performance pour explorer et défier les normes établies.

L’érotisme, dans l’œuvre de ces femmes artistes, sert bien plus qu’à une simple représentation provocatrice de la sexualité par la sculpture. Il devient un outil de réflexion, d’exploration et parfois même de guérison. Louise Bourgeois, par exemple, transforme ses expériences personnelles traumatiques en sculptures qui captivent par leur ambiguïté et leur profondeur psychologique. Sigalit Landau et Carolee Schneemann jouent sur la tension entre plaisir et douleur, tout en remettant en cause la perception traditionnelle du corps féminin.

Ces artistes ne se contentent pas de questionner les normes sociales ; elles redéfinissent également ce que signifie appartenir à un genre ou à une identité, souvent en forçant le public à confronter ses propres préjugés. Orlan et Nicola Costantino critiquent les standards de beauté et la marchandisation du corps, invitant à une introspection plus profonde sur la manière dont la société perçoit le corps féminin.

Leurs œuvres démontrent que l’érotisme en sculpture, loin d’être un sujet superficiel, est un champ de bataille fertile pour l’artiste féminine. En défiant les conventions et en explorant des territoires émotionnels et corporels souvent inexplorés, ces artistes contribuent à un discours plus large sur la liberté, la diversité corporelle et la complexité de l’expérience humaine. Ce faisant, elles enrichissent le dialogue artistique contemporain, tout en affirmant la pertinence durable de l’art comme moyen de transformation sociale et personnelle.

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